Page:Noailles-le-livre-de-ma-vie-adolescence-1931.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
734
la revue de paris

de mon lit j’avais suspendu, de manière à le pouvoir toujours regarder, un feuillet de papier où j’avais écrit ces vers illustres de Vigny :

Gémir, pleurer, prier, est également lâche,
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche…

et encore cette phrase de Dostoïewski : Celui qui souffre davantage est digne de souffrir davantage…

Sans l’aveu fait aujourd’hui, comment croirait-on que c’est entre la faiblesse physique et les larmes que j’élevai vers la nature des actions de grâce ruisselantes d’amour ? Je m’étais juré de combattre le destin ennemi, et j’y parvenais, non par ma propre force, mais par celle que me communiquait un dieu

Ce n’est pas seulement en mes indications si précises d’un mal physique que je ne rencontrai ni créance, ni divination.

Passionnément aimées par notre mère et ses amis, il ne nous avait pas été donné de parvenir à leur prouver que notre institutrice française, récemment installée auprès de nous, n’était pas dans son bon sens. Si fort favorisait-on à cette époque le sentiment du respect envers les éducateurs, qu’une plainte formulée contre eux apparaissait presque aussi séditieuse que la doléance du soldat qui se voit blâmé et condamné pour avoir constaté humblement l’erreur ou l’injustice de celui qui commande.

Mademoiselle Marguerite Pierre, à laquelle ma sœur et moi étions parfois aussi totalement confiées que de jeunes et doux lionceaux à leur propriétaire, unissait à une nature vigoureuse et souvent joviale une maladie mentale surgissante, que nous n’avions pas tardé à discerner. « C’est un caractère pittoresque et doué de fantaisie », affirmait ma mère, avec bienveillance et distraction, lorsque nous lui décrivions l’étrange comportement de cette vive Franc-Comtoise, que Besançon, sa ville natale, avait dotée d’un brun regard d’Espagnole, et de ce qu’elle appelait « le tour de hanche », ou bien quand nous exposions la surprise et la frayeur que nous causaient, dans la nuit, à travers la cloison de nos chambres