Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/115

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confuses. Je regrettois presque ce passé sans ivresse, mais sans craintes, où je ne redoutois rien parce que je n’avois compté sur rien. J’aurois voulu ressaisir ces pures voluptés de l’âme qui se passent de l’avenir dans un cœur d’enfant, où l’avenir, du moins, ne va pas plus loin que le lendemain. Enfin, j’entendis le bruit ordinaire de la maison ; je me levai, je m’habillai sans attendre ma mère, je priai Dieu, et je gagnai la croisée qui donne sur l’Arve pour y rafraîchir ma tête brûlante aux vapeurs des brumes matinales. Ma porte s’ouvrit. Je reconnus un pas d’homme. Ce n’étoit point M. Robert. Une main saisit la mienne. Monsieur Maunoir ! m’écriai-je. Il y avoit plusieurs années qu’il n’étoit venu, mais le bruit de sa démarche, le contact de sa main, je ne sais quoi de franc, d’aisé et de tendre qui ne se juge en particulier par aucun sens, mais qui s’éprouve par tous, m’étoit resté de lui dans la mémoire. C’est bien lui, dit-il en parlant à quelqu’un d’un son de voix un peu altéré, c’est mon pauvre Gervais. Vous savez ce que je vous en dis dans le temps ! — Après cela il imposa ses doigts sur mes paupières et les retint quelque temps élevées. — Ah ! dit-il, la volonté de Dieu soit faite ! Au moins, te trouves-tu heureux ? — Bien heureux, lui répondis-je. M. Robert dit que j’ai profité de ses bontés. Je sais lire comme un voyant, et je suis aimé d’Eulalie. — Elle t’aimera davantage si elle te voit un jour, reprit M. Maunoir… — Si elle me voit, dites-vous ? — Je pensai à ce séjour éternel où l’œil des aveugles s’ouvre à une clarté qui n’a plus de nuit. — Je ne compris pas.

Ma mère m’amena ici suivant l’usage, mais Eulalie tarda beaucoup. Je cherchois à m’expliquer pourquoi. Mon pauvre Puck alloit à sa rencontre, et puis il revenoit, et puis il retournoit toujours ; et quand il étoit bien loin, bien loin, il aboyoit avec impatience, et quand il étoit près de moi, il pleuroit. Enfin, il se mit à japper