Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/166

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux compagnons qui a eu l’honneur de parler devant vous. Je suis en effet son frère Mahoud le beau, surnommé l’amour et les délices des femmes, et dont le nom retentissoit, il y a un demi-siècle au plus, dans tous les harems de l’Orient. Vous savez déjà comment nous nous séparâmes, et j’avoue que le dédain de mes frères pour quelques agréments dont j’étois doué, me faisoit désirer ce moment avec une vive impatience, quoique je n’eusse pas tardé à penser que le talisman du génie qui devoit me faire adorer des belles produisoit sur les hommes un effet tout opposé. Je restai donc seul, aussi satisfait de ma personne que mécontent de ma situation.

Le désert, seigneur, est un triste séjour pour un joli homme. J’y vécus fort mal et fort péniblement pendant plusieurs semaines, mais je trouvai à me dédommager aux premières habitations. Je n’ai pas besoin de vous dire à quel genre d’avantages personnels je dus partout la plus gracieuse hospitalité. Je ne peux cependant me dispenser d’ajouter qu’elle entraînoit souvent avec elle de fâcheuses compensations. Les hommes sont généralement jaloux, et les jaloux sont généralement brutaux, surtout quand ils n’ont pas reçu d’éducation. Tous les pays que je traversois étoient des pays de conquête ; mais, à l’opposé des autres conquérants, je ne les traversois presque jamais sans être battu.

Un jour que j’échappois à la poursuite de cent beautés rivales, poursuite qui a aussi ses importunités, et que je me dérobois en même temps aux procédés grossiers de leurs amants et de leurs époux, je tombai au milieu de la caravane d’un marchand d’esclaves qui se rendoit à Imérette pour y acheter des Géorgiennes. Comme j’avois entendu dire que c’étoit là que se trouvoient les plus belles personnes du monde, et que j’étois empressé d’y exercer l’empire déjà éprouvé de mon mérite ou de mon talisman, je n’hésitai pas à m’engager parmi ses