Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/175

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quelque prix, Zénaïb, la divine Zénaïb, doit rester la proie de son barbare vainqueur ? Mais quelle partie de ce palais habite ma Zénaïb ? Où la trouver ? comment la voir ? comment surtout en être vu ? Espérances insensées ! fatal amour ! illusions trompeuses que trop de succès ont nourries ! La nature ne m’a-t-elle donné tant d’avantages sur les autres hommes que pour me faire sentir plus amèrement la rigueur de ma destinée ?

En achevant ces paroles, je cachai ma tête tout entière entre mes coussins, et je les inondai de mes larmes.

Chélébi entroit au même instant pour m’annoncer la présence d’une vieille esclave maure qui demandoit à me parler.

— Qu’elle parle, répondis-je, sans daigner détourner vers elle mes yeux obscurcis par les pleurs. Que veut-elle au triste Mahoud ? Que peut-elle attendre du déplorable prince de Fardan ?

— C’est bien à vous, seigneur, que mon message s’adresse, dit la vieille Maure d’un ton mystérieux, et je me connois mal à ces sortes d’affaires, s’il ne comble tous vos désirs. Ce n’est peut-être pas sans dessein que vous vous êtes arrêté, il y a une heure, sous le balcon de la favorite ; mais, quoi qu’il en soit de ce projet ou de ce hasard, l’amour vous y rappelle ce soir, à minuit. Cette clef vous ouvrira la porte de la grille qui se ferme au coucher du soleil, et une échelle de cordes, jetée de la croisée, vous conduira aux pieds de la plus aimable des princesses. Prenez donc la clef, seigneur ; mais répondez, je vous en conjure, et n’oubliez pas que Zénaïb vous attend !

Au nom de Zénaïb, je m’emparai de la clef que la vieille s’étoit efforcée d’introduire dans ma main languissante, et je m’élançai vers elle pour l’embrasser, en action de grâces d’une si bonne nouvelle ; mais, à son aspect, je reculai d’une horreur irrésistible, tant cette noire étoit exécrable à voir, et je retombai à ma place.