Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/243

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qui lui ont permis de doter si richement ses héritiers, que j’aurois fondé de beaux prix en faveur des ignorants et des simples, et que je prendrois de plaisir, du monde où il habite, à les voir distribuer, au jugement des mères de famille et des petits enfants ! quelles bonnes primes j’aurois attachées à la publication d’un livre ingénu où la foi tient lieu de science, où l’expérience tient lieu d’étude, où le sentiment tient lieu d’habileté ; où le naturel ferait oublier au besoin l’absence du talent, s’il étoit bien prouvé que le talent fût autre chose que le naturel ! Avec quelle munificence, toutefois plus économique et plus facile que la sienne, j’aurois voulu reproduire en abondance tous les ans, pour l’instruction et le bonheur de la multitude, ces délicieuses compositions qui saisissent l’âme par des sympathies si vives, et qui la pénètrent d’enseignements si utiles et si doux : l’Odyssée, les Voyages de Pinto, les Contes de Perrault, les Fables de Pilpay, d’Ésope, de La Fontaine, Télémaque, Robinson, Don Quichotte, les Hommes volants ! On sent bien qu’il n’est question ici que des livres de l’homme, mais quels hommes et quels livres, grand Dieu ! que ceux dont je viens de parler ! voilà de l’argent bien employé ! voilà une bibliothèque de véritable progrès humanitaire[1] ! et le peuple qui l’adoptera, voilà un peuple digne d’envie, un peuple qui mérite que l’on vive de l’air qu’il respire, et qu’on se réchauffe à son soleil ! M. Herschell le trouvera peut-être dans la lune.

En attendant, je n’ai pas renoncé à raconter des histoires auxquelles je suis souvent le seul à croire, et je

  1. On sait que Nodier n’étoit point partisan du progrès indéfini, et qu’il étoit assez disposé à n’y voir qu’une hallucination de la vanité humaine. Il a composé sous le titre d’Histoires progressives quelques satires pleines de verve et d’atticisme où il se moque, et souvent avec une raison supérieure, des théories humanitaires de la perfectibilité. Ces histoires sont : Hurlubleu, grand manifafa d’Hurlubières (1833), — Léviathan le Long (1833), — Voyage pittoresque et industriel dans le Paraguay-Roux et la Palingénésie australe,