Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/265

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répandue sur la journée. Une fois, les verrous tournés plus tard et plus rudement, sans égard pour notre sommeil, nous annoncèrent la visite d’un autre guichetier. Celui-ci s’appeloit Nicolas.

Nicolas étoit un bon homme qu’un autre genre de vocation, dont je ne me suis pas informé, avoit engagé au service des prisons, et qui ne s’étoit pas accommodé sans efforts, je le suppose, à l’esprit de son état ; mais il y étoit parvenu de manière à faire illusion sur ses sentiments naturels à quiconque ne les aurait pas connus. À force d’exercer les cordes basses de sa voix, le pauvre diable avoit réussi à se donner une parole rauque et menaçante, qu’il savoit rendre plus formidable en fronçant convulsivement des sourcils épais, mais doux, qui ne furent jamais destinés à exprimer la colère. Comme cette complication d’artifice devoit lui coûter beaucoup, il ne répondoit jamais plus brutalement que lorsqu’il avoit le dos tourné. Un jour qu’on le surprit à pleurer sur un homme qui alloit mourir, et qui embrassoit sa femme pour la dernière fois, il se plaignit qu’on lui eût jeté du tabac dans les yeux. J’ai rencontré vingt guichetiers comme Nicolas. Les hommes ne sont jamais si méchants qu’ils en ont l’air.

— Où est Pierre ? lui dis-je, en m’asseyant sur mon lit.

— Pierre ! Pierre ! répondit-il avec aigreur. C’est toujours Pierre qu’on demande ; on dirait qu’il n’y a que Pierre ici. Que fait-il pour vous qu’on ne fasse ? Pierre vous apporte-t-il autre chose qu’une cruche et du pain ? Une cruche, la voilà ; du pain, en voilà : si vous avez affaire à Pierre, allez le chercher. Pierre est au cachot.

— Pierre est au cachot ? m’écriai-je ; c’est une chose impossible. Qu’a-t-il fait ?

— Ce qu’il a fait ? est-ce que je sais cela, moi, ce qu’il a fait ? Est-ce que cela me regarde ? Est-ce que je me mêle de ce que font les autres ? une porte ouverte trop tôt, une porte fermée trop tard, une lettre remise