Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/274

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toient du cabaret d’un pied titubant, vinrent le prier, le couteau sur la gorge, au nom de la liberté des opinions, de crier : Vivent les Polonois ! — Je ne demande pas mieux, répondit Théodore, dont la pensée était un cri éternel en faveur du genre humain, mais pourrois-je vous demander à quel propos ? — Parce que nous déclarons la guerre à la Hollande qui opprime les Polonois, sous prétexte qu’ils n’aiment pas les jésuites, repartit l’ami des lumières, qui étoit un rude géographe et un intrépide logicien. — Dieu nous pardonne ! murmura notre ami, en croisant piteusement les mains. Serons-nous donc réduits au prétendu papier de Hollande de M. Montgolfier !

L’homme éminemment civilisé lui cassa la jambe d’un coup de bâton.

Théodore passa trois mois au lit à compulser des catalogues de livres. Disposé comme il l’a toujours été à prendre les émotions à l’extrême, cette lecture lui enflamma le sang.

Dans sa convalescence même son sommeil était horriblement agité. Sa femme le réveilla une nuit au milieu des angoisses du cauchemar. — Vous arrivez à propos, lui dit-il en l’embrassant, pour m’empêcher de mourir d’effroi et de douleur. J’étais entouré de monstres qui ne m’auroient point fait de quartier.

— Et quels monstres pouvez-vous redouter, mon bon ami, vous qui n’avez jamais fait le mal à personne ?

— C’étoit, s’il m’en souvient, l’ombre de Purgold dont les funestes ciseaux mordoient d’un pouce et demi sur les marges de mes aldes brochés, tandis que celle d’Heudier plongeoit impitoyablement dans un acide dévorant mon plus beau volume d’édition princeps, et l’en retiroit tout blanc ; mais j’ai de bonnes raisons de penser qu’ils sont au moins en purgatoire.

Sa femme crut qu’il parloit grec, car il savoit un peu le grec, à telles enseignes que trois tablettes de sa biblio-