Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/289

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tions des mystères du génie et de la sensibilité, que d’observations d’une vraie et profonde philosophie il y auroit à recueillir dans la conversation de Polichinelle, si Polichinelle le vouloit ! Mais Polichinelle ressemble à tous les grands hommes de toutes les époques ; il est quinteux, fantasque, ombrageux ; Polichinelle est foncièrement mélancolique. Une expérience amère de la perversité de l’espèce, qui l’a d’abord rendu hostile envers ses semblables et qui s’est convertie depuis en dédaigneuse et insultante ironie, l’a détourné de se commettre aux relations triviales de la société. Il ne consent à communiquer avec elle que du haut de sa case oblongue, et il se joue des vaines curiosités de la foule, qui le poursuivroit, sans le trouver, derrière le pan de vieux tapis dont il se couvre quand il lui plaît. Les philosophes ont vu bien des choses, mais je ne crois pas qu’il y ait un seul philosophe qui ait vu l’envers du tapis de Polichinelle. C’est qu’au milieu de cette multitude qui afflue au bruit de sa voix, Polichinelle s’est fait la solitude du sage et reste étranger aux sympathies qu’il excite de toutes parts, lui dont le cœur, éteint par l’expérience ou par le malheur, ne sympathise plus avec personne, si ce n’est peut-être avec son compère dont je parlerai une autre fois. Je suis trop occupé maintenant de Polichinelle pour m’arrêter aux accessoires. Un épisode ingénieux peut tenir sa place dans les histoires ordinaires, mais l’épisode seroit oiseux, l’épisode seroit inconvenant, j’ose dire qu’il seroit profane dans l’histoire de Polichinelle.

On appréciera, je l’espère, à sa valeur mon grand travail sur Polichinelle (si je le conduis jamais à fin), par un seul fait qui est heureusement bien connu et que je rapporte sans vain orgueil comme sans fausse modestie. Bayle adoroit Polichinelle. Bayle passoit les plus belles heures de sa laborieuse vie, debout, devant la maison de Polichinelle, les yeux fixés par le plaisir sur les yeux de Polichinelle, la bouche entr’ouverte par un doux sourire