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Les colonnes d’Hercule de la civilisation des modernes ! c’est la loge de Polichinelle.

Ce n’est pas tout : Polichinelle possède la véritable pierre philosophale, ou, ce qui est plus commode encore dans la manipulation, l’infaillible denier du juif errant. Polichinelle n’a pas besoin de traîner à sa suite un long cortége de financiers, et de mander, à travers les royaumes, ses courtiers en estafettes et ses banquiers en ambassadeurs. Polichinelle exerce une puissance d’attraction qui agit sur les menus métaux comme la parole d’un ministre sur le vote d’un fonctionnaire public, puissance avouée, réciproque, solidaire, synallagmatique, amiable, désarmée de réquisitions, de sommations, d’exécutions et des moyens coërcitifs, à laquelle les contribuables se soumettent d’eux-mêmes et sans réclamer, ce qui ne s’est jamais vu dans aucun autre budget, depuis que le système représentatif est en vigueur, et ce qui ne se verra peut-être jamais, car la concorde des payeurs et des payés est encore plus rare que celle des frères. Il n’y a si mince prolétaire qui n’ait pris plaisir à s’inscrire, au moins une fois en sa vie, parmi les contribuables spontanés de Polichinelle. L’ex-capitaliste ruiné par une banqueroute, le solliciteur désappointé, le savant dépensionné, le pauvre qui n’a ni feu ni lieu, philososophe, artiste ou poëte, garde un sou de luxe dans sa réserve pour la liste civile de Polichinelle. Aussi voyez comme elle pleut, sans être demandée, sur les humbles parvis de son palais de bois ! C’est que les nations tributaires n’ont jamais été unanimes qu’une fois sur la légalité du pouvoir, et c’étoit en faveur de Polichinelle ; mais Polichinelle étoit l’expression d’une haute pensée, d’une puissante nécessité sociale, et tout homme d’État qui ne comprendra pas ce mystère, je le prouverai quand on voudra, est indigne de presser la noble main du compère de Polichinelle.

L’incomparable ministre dont j’ai eu l’honneur d’être