Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/31

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du Saint-Esprit étoit tombée, pour se servir des paroles du vulgaire, dans cet état de grâce et d’innocence qui ramène la vieillesse aux douces ignorances des enfants. Elle ne savoit plus des choses de la vie commune que celles qui se rapportent à l’autre, car elle vivoit d’avance dans cette éternité où elle entroit déjà de tant de jours, et comme son langage s’étoit empreint peu à peu des sciences de l’avenir, les grands esprits de ce temps-là doutoient de sa raison ; mais ses paroles passoient encore pour des révélations d’en haut dans le couvent des Bernardines. Pourquoi Dieu n’auroit-il pas accordé la prévision de ses mystérieux desseins à quelques âmes éprouvées par un long exercice de la vertu ? Moi-même, à l’heure où je vous raconte cela, je ne demanderois pas mieux que de le croire. Heureusement la mère d’Hélène le croyoit.

Elle ne quitta le sanctuaire que pour monter à la cellule où sœur Françoise du Saint-Esprit reposoit sur un sac de paille, les deux mains dévotement croisées sur un crucifix. Comme elle pensa que la sœur dormoit, parce qu’elle étoit immobile, madame Gillet s’agenouilla dans un coin, en retenant son souffle pour ne pas la réveiller ; mais elle n’y fut pas longtemps qu’elle s’entendit appeler. La main de sœur Françoise la cherchoit, car la vieille sainte voyoit à peine. Madame Gillet la saisit, et y colla respectueusement ses lèvres. « Bon, bon, dit madame de Longueval avec un sourire ineffable, vous êtes la mère de cette pauvre petite pour qui nos sœurs ont prié ce matin. Je vous déclare que c’est une âme pure et choisie devant le Seigneur, qu’il a daigné écouter les prières de ses servantes, et que votre enfant ne mourra point par la main du bourreau, puisque Hélène est appelée à parcourir une longue vie avec beaucoup d’édification. » Ces mots achevés, sœur Françoise du Saint-Esprit parut oublier qu’il y eût quelqu’un auprès d’elle, et revint à ses méditations accoutumées