Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/327

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en longs gémissements ce cri sauvage qui n’est plus familier à son espèce, je comprendrai parfaitement ce qu’il demande.

Ces mots achevés, La Mettrie se dirigea vers le salon où je l’accompagnai, et c’est là que finissent notre conversation et mon récit. Tout ce qu’il me semble à propos d’ajouter, c’est que ce fameux matérialiste mourut, peu de temps après, et qu’il mourut chrétien.

— Je n’en suis pas étonné, répondis-je à M. Mauduyt.

Mais ces impressions sont aujourd’hui trop éloignées de moi pour que je puisse dire bien positivement si j’attachois à cette réponse le sens d’un corollaire logique ou si je n’en faisois qu’une épigramme.

Ce dont je me souviens mieux, c’est que nous allâmes prendre du café chez Peyron, qui occupoit alors cet angle de la galerie septentrionale du Palais-Égalité, habité depuis par Lemblin, et qui a conservé, je crois, la réputation de son moka parfumé et de ses liqueurs délicates. La jeune et jolie personne qui siégeait au comptoir d’acajou auroit probablement fait perdre à La Mettrie lui-même le fil de ses hautes spéculations philosophiques. J’y reviens pourtant un moment.

— Ce que vous m’avez dit, mon cher maître, m’a étrangement frappé ; mais ce n’est jusqu’ici qu’une dissertation de sceptique à la manière de Bayle. Vous n’avez pas daigné me faire part de vos conclusions.

— J’en tirerois deux pour le moins, me répondit M. Mauduyt ; et les voici, puisque tu les demandes :

La première, c’est qu’il ne faut pas juger trop légèrement des choses les plus absurdes en apparence, parce qu’il y a beaucoup de vérités très-positives et très-faciles à démontrer qui échappent aux demi-savants.

La seconde, c’est que les gens d’esprit ne sont jamais embarrassés de prouver tout ce qu’ils veulent.

— Tant mieux, repris-je avec chaleur, les gens d’esprit n’ont d’intérêt qu’à faire valoir les idées bonnes et