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chirurgien Nicolas Jacquin, dont l’honorable famille exerce encore, après deux cents ans, la même profession dans nos deux provinces de Bourgogne. Aucune des blessures d’Hélène n’étoit mortelle, aucune ne se trouva dangereuse. Quand elle reprit ses sens, son premier cri fut celui de l’innocent qui entre au ciel, parce qu’elle imagina qu’elle étoit tombée dans les mains de Dieu, à qui le secret de toutes les pensées est connu.

Et au même instant, la sœur Françoise du Saint-Esprit disoit en souriant toujours et en prêtant l’oreille au bruit de la multitude qui revenoit dans ces quartiers : — C’est bien, c’est bien, c’est fini ; c’est le peuple qui s’en retourne joyeux, parce que cette jeune fille n’est pas morte.

Parmi tant de miracles qui signalèrent la mémorable journée du 12 mai, il ne faut pas oublier la circonstance qui la faisoit concourir, ainsi que je l’ai dit, avec la der-

    ceste exécution, releva la patiente, qui en mesme temps marcha d’elle-mesme vers le poteau, se remit à genoux et tendit de rechef le col. Le bourreau, esperdu, reprend le coutelas de la main de sa femme et descharge un coup sur la teste de la patiente, glissant au col, dans lequel il entra du travers du doigt, duquel coup elle seroit encore tombée, ce qui augmenta la colère du peuple plus fort qu’auparavant. Le bourreau se sauve en la chapelle qui est au bas de l’eschafaud, les jésuites après, puis les capucins. La femme du bourreau demeure seule auprès de la patiente, qui estoit tombée sur le coutelas, duquel asseurément elle se seroit servi si elle l’eust vu : elle prit la corde avec laquelle la patiente avoit esté menée et la luy met au col. La patiente se défend et jette sa main sur la corde ; cette femme luy donne des coups de pied sur l’estomach et sur les mains, et la secoue cinq ou six fois pour l’estrangler : puis, se sentant frappée à coups de pierres, elle tire ce corps demy mort, la corde au col, la teste devant à bas de la montée de l’eschafaud. Comme elle fut au-dessous, proche des degrez qui sont de pierre, elle prend des ciseaux qu’elle avoit apportez pour coupper les cheveux à la condamnée. Avec ces ciseaux, qui estoient longs de deux pieds, elle luy veut coupper la gorge ; comme elle n’en peut venir à bout, elle les luy ficha en divers endroicts. »

    L’onziesme tome du Mercure françois ou l’histoire de nostre temps, sous le règne du très-chrestien roy de France et de Navarre Louis XIII. Paris, 1629, in-8o, pages 528 et suiv.

    (Note de l’éditeur.)