Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/64

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sérénité faisoit plaisir à voir ; on sentait, en la regardant, qu’elle avoit été heureuse toute sa vie, et on le comprenoit à merveille ; sa physionomie n’annonçoit pas précisément de la gaieté, elle annonçoit du contentement, cette gaieté sérieuse de l’âme qui est infiniment plus rare, et qui prouve quelque chose de plus qu’une bonne situation de fortune et une bonne disposition d’esprit, c’est-à-dire une bonne organisation, une bonne santé, et surtout une bonne conscience.

Ces excellentes gens, dont vous me pardonnerez de vous parler trop au long, quoiqu’ils n’aient rien à faire à mon histoire, mais parce que j’aime beaucoup à me les rappeler, avoient trois filles aimables, de cette amabilité toute simple et toute facile, qui ne doit presque rien au monde et à l’éducation, et qui prend sa source dans un naturel essentiellement bienveillant. L’aînée, qui avoit une trentaine d’années, s’appeloit madame Lambert. Elle étoit veuve, et cet état sévère reflétoit sur son caractère je ne sais quoi de grave et de posé qui convenoit d’ailleurs à sa position dans la famille, où elle exerçoit une pleine autorité par la concession de ses parents. C’étoit exactement la maîtresse de la maison, car M. et madame Labrousse n’y figuroient en réalité que comme deux vieux enfants, insouciants par confiance et par goût, et qui achevoient de vivre, entourés des soins et des caresses des trois autres.

La troisième des filles se nommoit Claire ; elle touchoit à sa dix-septième année, mais le tour ordinaire de ses idées et de son entretien ne lui en aurait pas fait donner plus de douze. Sa beauté, qui étoit fort remarquable, résultoit surtout de cette fraîcheur pure et veloutée, qui est à la physionomie ce que leur poudre fleurie est aux fruits, ce que l’innocence est à l’âme ; et son esprit, qui paroissoit assez vif, devoit son plus grand charme à une naïveté étourdie qui révéloit à tout moment la charmante ignorance et la curiosité d’instinct