Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/92

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sant, hélas ! que cette Vierge sainte dont elle appeloit en vain le secours ; et ses pleurs, cette fois, étoient amers et brûlants. On la vit plusieurs jours de suite, prosternée et suppliante, et on ne s’en étonna point, parce que tout le monde connoissoit dans le couvent sa dévotion passionnée pour Notre-Dame-des-Épines-Fleuries. Elle passoit le reste de ses heures dans la chambre du blessé, dont la guérison avoit cependant cessé d’exiger des soins assidus.

Un soir, à l’heure où l’église est fermée, où toutes les sœurs sont retirées dans leurs cellules, où tout se tait jusqu’à la prière, voici Béatrix qui gagne le chœur à pas lents, qui dépose sa lampe sur l’autel, qui ouvre d’une main tremblante la porte du tabernacle, qui se détourne en frémissant et en baissant les yeux, comme si elle craignoit que la reine des anges ne la foudroyât d’un regard, et qui se jette à genoux. Elle veut parler, et les paroles meurent sur ses lèvres, ou se perdent dans ses sanglots. Elle enveloppe son front de son voile et de ses mains ; elle essaie de se raffermir et de se calmer ; elle tente un dernier effort ; elle parvient à arracher de son cœur quelques accents confus, sans savoir si elle profère une prière ou un blasphème.

« Ô céleste bienfaitrice de ma jeunesse ! dit-elle, ô vous que j’ai si longtemps uniquement aimée, et qui restez toujours la plus chère souveraine de mon âme, à quelque indigne partage que je vous fasse descendre ! ô Marie, divine Marie ! pourquoi m’avez-vous abandonnée ? Pourquoi avez-vous permis que votre Béatrix tombât en proie aux horribles passions de l’enfer ? Vous savez, hélas ! si j’ai cédé sans combats à celle qui me dévore ! Aujourd’hui, c’en est fait, Marie, et c’en est fait pour jamais ! je ne vous servirai plus, car je ne suis plus digne de vous servir. J’irai cacher loin de vous l’éternel regret de ma faute, le deuil éternel de mon innocence que vous n’avez pas, vous-même, le pouvoir de me rendre. Souffrez ce-