Page:Normand - La Muse qui trotte, 1894.djvu/16

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ne se commande pas, mais seulement le respect aux chefs-d’œuvre des peuples dont le cerveau n’est pas constitué pour jouir des mêmes formes que le nôtre. Mais si cette assertion que l’Art n’a pas de patrie signifie qu’un peuple peut sans nul risque pour sa propice esthétique s’assimiler celles des autres, je m’inscris en faux.

Il me semble, en effet, qu’une œuvre d’art vaut surtout par le tempérament qu’elle exprime, autrement dit par l’idéal particulier de son créateur. Le tempérament, l’idéal français est inaliénable. Il n’est pas pour cela stationnaire : il obéit, comme toutes choses, à la loi du devenir ; il évolue en se dégageant toujours davantage à mesure que le mélange des races dont nous sommes issus se fait plus intime, car il représente précisément la synthèse des éléments ethniques de ce mélange. Le sentiment patriotique, depuis Jeanne d’Arc jusqu’à nos jours, est la conscience de plus en plus nette que nous prenons de notre unité nationale. Depuis un quart de siècle, cette conscience est devenue, chez l’élite de la nation, plus profonde et plus ombrageuse. Le goût littéraire en est parent ; c’est un sens national et à ce titre sa fortune nous est à cœur ; il représente ce qu’il y a