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fois plus heureux que moi !…[1] » Pauvre Hypérion !… Pauvre Hœlderlin !

Je crois en effet qu’Hypérion n’est autre que Hœlderlin lui-même. Les idées qu’il prête à son héros doivent avoir été les siennes et ces idées sont accablantes pour l’esprit qu’elles dominent exclusivement. Afin de les communiquer au monde, Hœlderlin avait besoin d’un homme placé dans des circonstances où elles pussent se développer naturellement. Il choisit en conséquence pour héros de son roman ― si toutefois il est permis de ranger son livre dans cette catégorie ― un jeune Grec de l’île de Tina, dont le nom, c’est Hypérion, indique le caractère. Ce jeune Grec, né avec une ame ardente et dévoré de l’amour du bien, ne rencontre que le froid égoïsme et la plus cruelle indifférence pour ses projets de ramener les hommes au sentiment de leur dignité, par le culte du principe vivifiant de la nature, qui est Dieu et qui se manifeste dans le beau. Il doit sa manière de voir à Adamas, qui cherche le bonheur au fond de l’Asie. Depuis le départ de ce vieillard, Hypérion se voit seul dans le monde. Cependant il se lie, à Smyrne, avec Alabanda qui le comprend, mais qu’il quitte à cause de ses relations avec une société secrète. Plus malheureux que jamais, il retourne dans sa patrie où le cœur de Diotima, la plus noble des femmes, l’enrichit de ses trésors sans lui faire oublier Adamas, Alabanda et le but de l’humanité. Il s’entretient avec Diotima, avec cet être angélique, de tout ce qui l’intéresse. Elle sent comme lui, elle lui découvre même ce qu’il veut et ce qu’il cherche. « Sais-tu, bien, lui dit-elle un jour, sais-tu bien ce qui te consume et te manque, ce que tu cherches comme l’Alphée cherche son Aréthuse, ce qui est le fond de ta tristesse ? C’est une chose passée depuis long-temps, on ne saurait dire au juste à quelle époque ; mais elle a existé, elle existe

  1. Hypérion, tome Ier, p. 105.