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FRAGMENTS

vierge éternelle, que le moindre attouchement résout en poussière magique qui devient le char de nuages du voyant. Ce n’est pas l’antiquité seule que nous voyons, elle est à la fois le ciel, le télescope et l’étoile fixe, et en même temps la révélation vraie d’un monde supérieur… Il ne faut pas, d’ailleurs, croire trop fermement que l’antiquité et le parfait soient faits : ce que nous appelons faits. Ils sont faits, comme l’amante, par le signe convenu de l’amant dans la nuit, comme l’étincelle par l’attouchement du métal, ou l’étoile par le mouvement de l’œil. À chaque trait qui parfait, l’œuvre s’éloigne du maître à des distances incommensurables, et aux dernières lignes, le maître voit son œuvre séparée de lui par un abîme spirituel dont lui-même peut à peine concevoir l’étendue, et que l’imagination, comme l’ombre du géant Intelligence, dans le conte de Gœthe, parvient seule à franchir. Dans l’instant où l’œuvre va être parfaite, elle devient plus grande que son créateur, qui est l’organe inconscient et la chose d’une puissance supérieure. L’artiste appartient à l’œuvre, et non pas l’œuvre à l’artiste.

Le sens poétique a plus d’un point de commun avec le sens mystique. C’est le sens du propre, du personnel, de l’inconnu, du mystérieux, du révélateur, du fatal accidentel. Il représente l’irreprésentable. Il voit l’invisible et sent l’insensible. La critique de la poésie est une absurdité ; il est déjà difficile de dire si une chose est poésie