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INTRODUCTION

La petite Sophie tombe brusquement et gravement malade. Un abcès se déclare dans le foie, et ses pauvres chairs vierges sont livrées au scalpel des médecins. Toute l’année qui suit, Novalis la passe à errer de la maison paternelle, où agonise un de ses frères, au cottage de Grüningue, où se meurt sa jeune fiancée. Enfin, le 19 mars 1797, Sophie von Kühn abandonne le rêve ou la vie. Elle avait quinze ans. Trois semaines après, le frère de Novalis expirait à son tour.

Il ne faut point parler longtemps de la douleur. Tout ce qu’il y a d’extérieur en elle varie selon les jours où nous vivons, et ce qu’elle a d’intérieur ne peut se peser ni se dire. Celle de Novalis, qui fut violente d’abord, se transforma bientôt en une étrange paix attristée et profonde, et le froid grave et stable de la vie véritable monta du fond de son malheur. Il fut comme un homme ivre qui se réveille, un soir d’hiver, sous les étoiles, au sommet d’une tour. À partir de ce jour, il sourira profondément, et sa fiancée morte commence en lui une vie pure et solennelle. Rien n’est plus noblement triste que cette transformation de la douleur au fond d’une âme, bien que rien ne soit peut-être moins rare. Mais la plupart des âmes sont soumises au silence, et nous sommes entourés d’une foule de beautés muettes et solitaires.