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LA NATURE

soit en arrière, dans l’infini. Il en est de même des espèces des corps et des forces. Ici aussi on aboutit à de nouvelles espèces, à de nouvelles combinaisons, à de nouvelles apparences, jusqu’à l’infini. Elles ne semblent s’arrêter que lorsque notre zèle se ralentit ; et l’on dépense ainsi, en contemplations inutiles et en énumérations fastidieuses, un temps très précieux ; et cela devient, à la fin, un délire véritable et un réel vertige devant l’abîme épouvantable. Car, si loin que nous allions, la Nature demeure l’effrayant moulin de la mort. Partout il n’y a que révolutions monstrueuses, inexplicables tourbillons. C’est le royaume des dévorateurs et de la tyrannie la plus insensée. C’est une immensité surchargée de malheurs. Les rares points lumineux ne servent qu’à révéler une nuit plus terrible, et des épouvantements de tous genres doivent paralyser l’observateur. La mort, comme un sauveur, se tient aux côtés de la pauvre humanité, car sans la mort l’homme le plus fou serait le plus heureux. Déjà cet effort à sonder ce gigantesque mécanisme est un pas dans l’abîme, et le commencement du vertige qui ne tardera pas à saisir complètement le misérable, et l’entraînera avec lui au fond d’une nuit abominable. C’est ici qu’est le piège ingénieux, tendu à la raison humaine que partout la Nature cherche à anéantir comme son plus grand ennemi. Rendons grâce à l’ignorance et à l’innocence puériles des hommes ; elles leur ont caché les dangers effrayants qui, comme des nuées menaçantes, entouraient leurs paisibles demeures et à chaque instant