Page:Novalis - Les Disciples à Saïs, 1914, trad. Maeterlinck.djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
22
LES DISCIPLES À SAÏS

ticolore et complexe spectacle, et si, les yeux encore pleins de ce même spectacle, nous pénétrons dans la Nature, tout nous y paraît familier et nous reconnaissons chaque objet. Il ne faut pas que nous cherchions longtemps ; une comparaison rapide, quelques traits sur le sable : c’en est assez pour nous faire comprendre. Tout nous devient un cryptogramme immense dont nous avons la clef ; et rien ne nous paraît inattendu, car d’avance nous savons la marche de la grande horloge. C’est nous seuls qui jouissons de la Nature dans la plénitude de nos sens, puisqu’elle ne nous écarte pas d’eux, qu’aucun rêve fiévreux ne nous oppresse, et qu’un calme empire sur nous-mêmes nous rend tranquilles et confiants.

Ce sont les autres qui se trompent, dit un homme grave à ces derniers. Ne reconnaissent-ils pas dans la Nature la fidèle empreinte d’eux-mêmes ? Ils se consument eux-mêmes dans le désert de leur pensée. Ils ne savent pas que leur Nature n’est qu’un jeu de l’esprit, une stérile fantaisie de leur rêve. Certes, elle est pour eux une bête épouvantable, une larve étrange et fabuleuse de leurs désirs. L’homme éveillé regarde sans effroi ces enfants de son imagination déréglée, car il sait que ce sont les spectres vains de sa faiblesse. Il se sent le maître de l’univers ; son moi flotte puissamment au-dessus de ce gouffre et planera à travers les éternités sur ces vicissitudes infinies. Son esprit s’efforce d’annoncer et de propager l’harmonie. Et par les siècles sans fin, son union avec lui-même et sa