Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/131

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lors des fameuses négociations du Congo… De son trône, il a fait une sorte de comptoir commercial, de bureau d’affaires, comme il n’en existe nulle part de mieux organisé, et où il brasse de tout, où il vend de tout, même du scandale. Dans un autre temps, cet homme-là eût été un véritable fléau d’humanité, car son cœur est absolument inaccessible à tout sentiment de justice et de bonté. Sous des dehors polis, aimables, spirituels, élégamment sceptiques, familiers même, il cache une âme d’une férocité totale, qu’aucune douleur ne peut attendrir… Ce qu’il a fait souffrir sa femme, ses filles, on ne le saura sans doute jamais… Ah ! les pauvres créatures !… Et on les enviait !… Ce fut une stupeur, dans toute la Belgique, quand on apprit que la Reine – la meilleure, la plus douce, la plus résignée des femmes – était morte, seule, toute seule, abandonnée comme une pauvresse, dans cette triste résidence de Spa. Le Roi, lui, était à Paris… Il vint sans hâte, en rechignant, enterra sa femme, sans cérémonie, vite, vite, et, la formalité accomplie, le soir même, il s’empressa de reprendre le train pour Paris et de retourner à ses plaisirs… On ne lui sut, en cette circonstance, aucun gré de son manque d’hypocrisie… Je pense qu’on eut le plus grand tort, car il est beau que les hommes – fussent-ils rois – se montrent tels qu’ils sont. Il estima peut-être assez son peuple, pour ne point lui donner la comédie d’une douleur bourgeoise qu’il ne ressentait pas ; explication trop idéaliste à laquelle le Belge notoire ne voulut pas souscrire… Non, ce jour-là, on ne vit sur la figure du Roi que l’ennui, l’agacement d’avoir été dérangé pour si peu de chose… Cette messe mortuaire, vite expédiée pourtant, ne valait pas la déception d’un rendez-vous d’affaires manqué, ou d’un déjeuner remis, au Pavillon d’Armenonville…