Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/164

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en lumière, en source infinie de travail qu’elle distribue par des réseaux de fils de cuivre, à travers tout un vaste pays, est-ce que vous n’éprouvez pas une émotion autrement poignante, est-ce que vous ne sentez pas une poésie autrement grandiose, que devant quelques pierres effritées ?

Mais non, la poésie nous tient et nous tiendra encore longtemps, car elle fait partie des éléments qui constituent notre race latine et catholique. Et voyez. Dès qu’il s’agit de jeter bas un pâté de vieilles maisons pourries, de mettre la pioche dans des ruelles emplies de l’ordure des siècles, pour y faire pénétrer l’air, la lumière, la santé, alors ce ne sont que protestations, cris, fureurs. Des sociétés de protection artistique, historique, se forment, des commissions bourdonnent et travaillent, les journaux se livrent aux propagandes les plus folles, s’excitent l’un l’autre, le radical, le socialiste, le royaliste, à préserver, contre ce qu’ils appellent un acte de vandalisme, ce qu’ils appellent aussi les trésors de notre patrimoine national. Finalement, l’administration recule devant le danger électoral qu’il y a toujours, en France, à tenter d’accomplir une œuvre d’assainissement. Pour honorer la poésie, l’art et l’histoire, elle conservera ces redoutables foyers d’infection. Elle fera mieux : elle nommera, pour les conserver, un conservateur.

Ah ! je me demande souvent, malgré toute mon admiration pour la splendeur de son verbe, si Victor Hugo ne fut point un grand Crime social ? N’est-il pas, à lui seul, toute la poésie ? N’a-t-il pas gravé tous nos préjugés, toutes nos routines, toutes nos superstitions, toutes nos erreurs, toutes nos sottises, dans le marbre indestructible de ses vers ?