Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/186

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ironie… de l’indifférence… Des femmes criaient… Un enfant s’étant mis à pleurer, le vieux avait voulu courir à sa petite-fille… Mais, de nouveau, un coup de revolver fit taire tout le monde. Dans la rue, les volets des boutiques se fermaient, claquaient sinistrement… Des gens passaient en fuyant, des gens clamaient Dieu sait quoi !… Personne n’avait encore osé, dans la salle, reprendre la parole, que cent nouveaux coups de fusil partaient à la fois… Puis, au dehors, des galops de chevaux, des cliquetis d’armes… des ordres, des vociférations…

Un homme qu’on eût dit de cire, tête nue, les vêtements en lambeaux, pénétra, en chancelant, dans le restaurant. On l’entoura… S’appuyant à une table, avec effort, il dit que le massacre était organisé, qu’on menait les soldats à l’assaut des boutiques juives, des maisons juives… On prenait l’argent, les valeurs, les objets de prix… on prenait les femmes… on tuait… on jetait les cadavres mutilés, par les fenêtres, dans la rue…

Et, tout à coup, l’homme qui parlait, se tut… tourna sur lui-même, et s’abattit sur le parquet, en entraînant, de ses doigts crispés, la nappe chargée de vaisselle.

C’est alors seulement qu’on vit que sa chemise était ensanglantée, et que du sang, encore, en longs filaments noirâtres, poissait à ses cheveux, à sa barbe…

Des cris d’horreur… des protestations indignées, s’élevèrent… Les quatre officiers avaient disparu.

Au cours de la soirée tragique, les pillards, malgré le planton de service, envahirent le restaurant ; mais la nuit même, le colonel ordonna de rapporter à l’hôtel une part du butin, des caisses de vin de Champagne, toutes sortes de victuailles, que les hommes avaient volées…

Le pauvre vieux, profitant d’une accalmie, avait pu courir