Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/190

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

officier, en souriant, ses petites mains baissées… Son grand-père voulut l’avertir d’un geste :

— Comme ça… Comme ça !

Et le vieillard imitait de ses mains tremblantes le geste sauveur.

Il n’eut pas le temps. Déjà l’officier visait l’enfant et, malgré le cri d’horreur qui emplit la cour, l’abattait…

J’entends encore, j’entendrai longtemps, j’entendrai toujours, la voix étranglée du vieillard :

— D’un coup dé son révolve, mossié !…

Elle ne poussa pas un cri. Elle eut quelques contractions, gratta le pavé du bout de ses petits doigts… Un petit peu de sang sur elle… un petit peu de sang autour d’elle… Et ce fut fini… Comme un petit oiseau…

— J’étais seul, tout seul dans la vie… J’étais seul sur la terre…

Je compris qu’il eût bien voulu pleurer… Il ne le pouvait pas… Il se mordit les lèvres… sa barbe remonta, par de légers soubresauts, son nez se fronça… Mais il ne pleurait pas… La source de ses larmes était, en lui, à jamais tarie…

Il répéta, en réunissant ses mains :

— Uné pétite chose… commé ça… pétite… pétite… rien, mossié… rien… comme un pétit oiseau… Ach !…

Balançant la tête, il dit, après un silence :

— Pourquoi jé pars ?… Jé né sais pas… Pourquoi jé vais là-bas ?… Ach !… Jé né sais pas !

Il dit encore :

— Bêtise !… Bêtise !

Je considérais le malheureux et me sentais incapable de l’effort qu’il eût fallu pour en détacher mes yeux… Je me sentais encore plus incapable de la moindre parole… J’étais saturé d’horreur… L’horreur me paralysait… Et puis à quoi bon parler ? Que pouvais-je dire qui