Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/195

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un goût merveilleux, exige que ce soit très beau, et très bien fait, de façon que la pluie ne tombe jamais dans son palais… Il veut, sous peine de mort, que ces têtes soient aussi imperméables que la tuile d’Europe, ou le chaume de la paillote indoue. L’aspect en est vraiment féerique, le soir, au soleil couchant, et l’odeur délicieuse… Par les vents du nord, elle se répand sur la ville, comme une pluie de parfums. Mais ce genre de toiture, quoi qu’on fasse, n’est pas très solide. Du moins, elle ne dure pas longtemps. Soit que les têtes se désagrègent sous l’action de la putréfaction, soit que les vautours parviennent à en chaparder quelques-unes, des fissures ne tardent pas à se produire, par où la pluie s’infiltre et s’égoutte dans l’intérieur du palais… Alors, notre grand Roi envoie par tout le royaume ses féticheurs les plus fidèles. Le visage couvert de leurs masques horrifiants, à corne rouge, un lourd coutelas en main, ils crient, ils hurlent : « Le toit du Roi se dépave !… Le toit du Roi se dépave !… » Aussitôt les massacres s’organisent… Les poitrines des sujets viennent, d’elles-mêmes, s’offrir au couteau… Partout, la terre, pourtant si rouge de notre pays, rougit encore sous les flots de sang… « Le toit du Roi se dépave !… » Et le palais reprend bien vite un aspect tout neuf, éclatant, vraiment royal…

Elle était toute triste, maintenant. Sans doute, sa pensée était envolée, là-bas ; son idéal – tout le monde a son idéal – l’avait reprise et reconquise… Elle marchait le long des fossés qui entourent sa belle ville de Kotonou… Les chacals glapissaient autour d’elle… Et elle respirait délicieusement l’odeur natale qui monte des charniers…

J’allumai une cigarette… Elle se taisait et ne regardait plus rien… Je restai là à considérer ce corps de bronze