Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/268

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

prétentieuse et littéraire commence de disposer ses phrases, je me sens pris aussitôt d’une envie furieuse de les contredire, et même de les injurier. Ils peuvent soutenir les opinions qui me sont le plus chères, je m’aperçois aussitôt que ce ne sont plus les miennes, et mes convictions les plus ardentes, dans leur bouche, je les déteste. Je ne me contredis pas ; je les contredis. Je ne leur mens pas ; je m’évertue à les faire mentir… Je me sens en joie, en verve. Si je pouvais avoir de la haine, vraiment de la haine, je crois bien que j’aurais – pauvre de moi ! – du génie… Au lieu qu’un sourire, qui me séduit, ne m’inspire pas un mot… et mes yeux – que des yeux ennemis font étinceler – se baissent devant un regard, dont ils aiment la lucidité ou la douceur… Alors, je demeure silencieux… je me sens stupide. C’est ma façon de m’abandonner. L’être qui me plaît parle pour lui et pour moi. Quoi qu’il dise… peu importe que je n’aie jamais pensé comme lui… je suis heureux. Et, à me persuader que la bouche amie décide, à l’instant, de ce que je pense et de ce que je suis, je n’ai plus qu’à l’écouter… J’écoute, je ne parle plus… Combien d’attentes j’ai dû décevoir ! Combien, souvent, j’ai dû paraître sot !… Ce sont, pourtant, sans aucun doute, les moments où j’ai le mieux compris ce que je pouvais comprendre, et mon silence n’était que l’hébétude de l’intelligence satisfaite…

Mes chers amis… mes charmantes amies… tous mes bien aimés, vous tous qui vous êtes, hélas ! détachés de moi, vous surtout dont je me suis détaché, de combien de reniements, de combien de lâchetés, vous êtes responsables… et, je puis bien vous le dire, de combien de larmes ! Car, pauvres imbéciles que vous êtes, vous avez toujours ignoré la belle source de tendresses qu’il y avait en moi.