Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/274

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Et, tout d’un coup, le secouant joyeusement :

— Ah ! mon vieux Weil-Sée !… mon vieux Weil-Sée !

Sans proférer une parole, mon pauvre cher Weil-Sée continua d’aller par les salles, ne voyant rien, ne regardant rien, ni les visiteurs, ni les tableaux, ne voyant et ne regardant que lui-même, je suppose…

Il ne s’arrêta que devant L’Âge de pierre, de Rodin ; il s’y arrêta de longues minutes… Il s’asseyait auprès, tournait autour, les mains derrière le dos, s’adossait à un mur, clignait de l’œil, et, de temps en temps, avec un sourire préoccupé, venait passer une paume, lentement, doucement, sur la patine du bronze. Il ne me confia aucune impression. J’en avais le cœur serré.

Le soir, tard, je le reconduisis jusque chez lui… Il habitait une petite rue déserte, une petite rue voisine du Jardin Zoologique…

Il avait toujours, sous divers prétextes, évité de me montrer sa chambre. J’imaginai le désordre, la saleté, toutes les choses bizarres qui traînaient là, échantillons de minerais, instruments de mathématiques, cartes, photographies de Cranach et de Rembrandt, épinglées aux murs, et le Cézanne, seul tableau qu’il eût gardé de sa collection, depuis longtemps dispersée, et qui l’accompagnait partout…

Nous étions devant sa porte, et il ne se décidait pas à sonner.

— Voyez-vous… me dit-il, tout à coup… Nous n’arriverons à rien… Nous sommes un siècle perdu… un siècle mort… si les hommes comme vous… mais oui !… Laissez donc la littérature…, ses inutilités… ses frivolités… sa bêtise encrassante… Entrez résolument dans…

Sur le trottoir opposé, près d’un réverbère, dont la lueur courte et tremblotante donnait à la rue comme un aspect de bouge, une femme passait et repassait que