Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/286

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hésitante. Un homme énorme, beaucoup plus âgé, très haut de taille, gros, gras, glabre, l’air malsain, l’air bourru, l’air fourbe aussi, la suivait, ouvrant de grands pas, et se dandinant ridiculement, sur des hanches trop fortes de vieille femme… Un œillet, d’un pourpre noir, s’empâtait à la boutonnière de son smoking…

— Avancez donc, ma chère ! fit-il en russe, d’une voix dure.

La table voisine de la nôtre portait une corbeille de roses rouges, et un maître d’hôtel s’empressait auprès des arrivants pour les y conduire. La dame, visiblement, répugnait à aller jusque-là… Elle tournait la tête vers l’autre bout de la salle, où, par une baie ouverte, l’on apercevait une sorte de petit jardin de palmiers, illuminé de girandoles ; un jet d’eau sortait d’un amas de petites roches en carton, que tapissaient des fougères stérilisées.

— Non, ce n’est pas la peine… fit encore le mari… Il y a un courant d’air… avancez donc…

Ce fut lui qui insista encore pour qu’elle s’assît à la place qui, justement, nous faisait face… Un mot bref, détaché d’une voix coupante, obligea le colosse à se taire, à courber sa tête teinte… Il s’effaça, en laissant, enfin, sa femme, prendre l’autre chaise et nous dérober sa rougeur…

Dans ces circonstances-là, je m’intéresse surtout aux maris ; et c’est le meilleur moyen que j’aie de trouver des excuses à leurs femmes. Dans la face énorme et molle de celui-ci, le menton saillait. Il était sinon absolument sourd, du moins très dur d’oreille, ce qui le forçait à pencher souvent, vers sa compagne, le masque rasé, plaqué de deux bandeaux trop noirs, et dont un monocle détruisait seul la ressemblance avec celui d’