Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/298

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inconsciente de l’odorat. Le cheval a peur de l’odeur, peur de la couleur, de la lumière, de l’ombre, de son ombre, de l’ombre de celui qui le mène ; il a peur d’un bout de papier, d’un sac d’avoine tombé, d’un morceau de verre qui brille, d’une lueur de lune dans une flaque d’eau, d’un reflet de feuille qui bouge, ou de nuage qui chemine sur la route. Le cheval a toutes les phobies. Il a même toutes les autophobies, et à un degré de morbidité que n’a peut-être pas atteint M. Émile Loubet, lequel, avec un si bel à-propos et autant de fureur prophétique, fulminait, contre les automobiles, les mêmes fâcheuses malédictions que fulmina M. Thiers contre les chemins de fer… Ah ! ces grands hommes !

Ce n’est que quand la machine, qu’il n’a ni devinée ni prévue, – je parle du cheval, – le frôle, qu’il fait un écart, se cabre, rompt son attelage, et renverse choses, gens, voiture et lui-même, dans le fossé. Ainsi que le lièvre, qui n’est dangereux qu’à soi-même, mais qui ne hante pas les routes, le cheval a cette infériorité physiologique de ne rien voir devant soi. Il ne voit que ce qui est à droite, ou à gauche, comme un politicien de la Chambre. Pour qu’il marche sans accrocs et sans dommages, il faut qu’il ne voie rien du tout… Bandez-lui complètement les yeux, et, d’un pas égal, d’une allure somnolente, cet Amour à quatre pattes ira toujours, et il tournera par exemple, des heures, des heures et des heures, la roue d’un manège sans s’arrêter jamais, sans jamais se révolter.

On ne rencontre pas, en chauffant, d’animal – l’homme et même le cycliste compris – qui soit plus dangereux, et dont il faille se méfier davantage. Chaque fois que j’aperçois, sur la route, ce périlleux imbécile, je ralentis toujours, et souvent je m’arrête, car on ne sait