Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/323

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poussière d’or, entraîne, avec des gémissements de sirène, des cris, des rires de femmes, sans rien d’autre de visible que des éclats de cuivre, et des bouts de voiles couleur de lune… Et comme un éclair, il passe, remmenant avec lui les ténèbres qu’il a, un instant, déchirées… Puis, une nouvelle lueur au ciel, et, sur la route, une trombe pareille de lumière qui ne laisse encore que la nuit, pour sillage à sa course… Puis une autre… puis d’autres…

Nous avons franchi la côte… C’est maintenant, autant qu’on peut le deviner, par l’ombre moins dense, par plus de silhouettes vagues, et par plus de ciel, c’est maintenant un large plateau. Des bruits sourds, des gémissements lointains, des ronflements étouffés, des voix de métal à peine distinctes ; plus près, des détonations, des crépitements ! Et partout des astres, des astres qui courent, galopent, roulent, bondissent, se croisent, ont l’air de chevaucher des vagues… s’allument, tout à coup, au haut d’une colline, et, derrière un pli de terrain, tout à coup s’éteignent… On dirait que les astres sont tombés du ciel sur la terre…

Arrêtés de nouveau, nous entendons une sorte de halètement, puis des claquements de quelque chose en quoi nous devinons plutôt une bête qu’une machine… Ce ne peut être une auto, cette fois… car ce bruit est sans lumière. Rien ne s’éclaire autour de ce bruit qui se rapproche… Si, pourtant… un tout petit point de feu pâle, semblable à une luciole qui voyage dans l’ombre d’un oranger… Et, subitement, à notre gauche, nous voyons, tressautant sur la route, comme un coléoptère géant, pétant, pétaradant, une motocyclette, qui porte, agrippé à la selle, un être couché, qui n’a plus rien d’humain, une grosse larve, avec une peau de reptile, noire et lisse…