Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/358

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possèdent une propriété magnifique… trois mois à Paris, le reste en Russie et en Allemagne… en Allemagne, le moins possible. La grande-duchesse, qui a de la tête et ses préférences, raffole de la rue de la Paix. On a eu beau lui faire des représentations, c’est à Paris qu’elle a commandé le trousseau de mariage de sa fille… L’Empereur fut outré… Il ne dissimula aucunement sa colère et son dépit, si bien que la petite princesse, qu’on avait joyeusement accueillie tout d’abord, pensa perdre de sa popularité. Après des scènes de famille, un peu humiliantes, dit-on, elle a dû promettre de s’habiller dorénavant, des pieds à la tête, à Berlin. Je plains la charmante enfant. Elle a infiniment de grâce. On va la fagoter.

— Bah ! m’écriai-je, Paris valant bien une messe, la couronne impériale d’Allemagne…

— Ne vaut pas, interrompit vivement von B…, qu’on soit condamnée à un cordonnier allemand, quand on a le pied joli…

Un soir, à table, un gros financier allemand vantait, devant ses convives français, avec un enthousiasme choquant, la supériorité morale, commerciale, militaire, scientifique de son pays. Eut-il conscience de son mauvais goût devant tous les visages qui se glaçaient ?… Voulut-il se faire pardonner ? Il prit tout à coup, à la pointe de son couteau, le menu morceau d’un exquis camembert, et dit, en souriant :

— Par exemple… nous n’avons pas chez nous de pareils fromages. Sous le rapport des fromages, je concède que vous nous êtes très supérieurs…

Von B… est un peu, mais avec plus de grâce, comme cet Allemand, et comme beaucoup d’étrangers qui, au fond,