Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/367

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Je suppose qu’il se rattrapait ensuite sur ses généraux et ses ministres.

Von B… ricana et choisit longuement un énorme cigare parmi les boîtes que le maître d’hôtel venait de dresser, en pile imposante, sur la table, l’alluma et continua :

— Depuis quelque temps, il a un peu… il a même beaucoup changé. Son agitation s’exaspère, les grimaces, les tics de son visage deviennent presque douloureux. Il a maintenant, en parlant, une sorte de retournement convulsif de la main qu’accompagne un claquement des doigts, dont la répétition est pénible. Son rire, jadis si éclatant, a je ne sais quel timbre faux qui vous trouble et vous gêne… Enfin, il montre moins de tolérance, moins de gentillesse envers ses amis. L’empereur déborde sur l’homme. C’en est fini de nos intimités… Quelques éclaircies, çà et là, mais elles durent peu. On a dit de lui, au début, qu’au rebours de Fénelon, il avait une main de velours dans un gant de fer ; ce doit être encore cet enfant terrible de Maximilien Harden, qui ne débine tant son Empereur que parce qu’il en attend trop, ou le Simplicissimus, l’ennemi intime de Guillaume, et qui lui reproche surtout de n’être pas Guillaume le Taciturne. En réalité, il arrive trop souvent, à présent, que la main durcisse jusqu’à paraître d’acier, et qu’il change de gants encore plus que d’uniformes… J’attribue ce changement à trois causes principales : les tracas, les désillusions de sa politique étrangère, son état de maladie qui le préoccupe plus qu’on ne croit, l’influence sourde, mais lente et tenace, qu’exerce sur lui, malgré lui, l’Impératrice. L’Impératrice a toujours détesté cette sorte de laisser aller bohème qui, chez l’Empereur, où deux mondes opposés sont souvent en conflit,