Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/41

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L’Auto à mon aise… Mais, allez !… ça ne changera rien à rien… Elles en veulent, monsieur… Ah ! ces sacrées femmes, ce qu’elles sont embêtantes !…

En voyage, il est bombardé de lettres… À peine s’il les lit, en haussant les épaules… Il n’y répond jamais… Mais il écrit copieusement à des amis, à qui il raconte des aventures émouvantes, des prouesses de plus en plus extraordinaires, et il tient pour eux un livre de « moyennes », jamais atteintes, ai-je besoin de le dire ?

Ce que j’admire en Brossette, c’est la puissance de sa vue, qui lui permet d’apercevoir, à des kilomètres de distance, le moindre obstacle sur la route ; ce que j’admire surtout, c’est le sens étonnant, mystérieux, qu’il a de l’orientation. Cette faculté, qui semble un prodige, on peut l’expliquer, on l’explique, par des raisons physiques, très claires, chez les pigeons, les canards sauvages, les hirondelles… Mais comment l’expliquer chez Brossette ? Et lui qui aime tant à se vanter de tout, il est, sur ce point, d’une modestie qui me surprend… Il n’y pense pas… n’en parle pas… Il est comme ça… il a toujours été comme ça… voilà… Je l’observe souvent. Le dos rond, la main touchant à peine le volant, la figure grave et plissée, surveillant tour à tour le graisseur, le voltmètre, le manomètre, la campagne… l’oreille attentive aux moindres bruits du moteur, il va, sans s’inquiéter jamais de la borne indicatrice, du poteau, dont les flèches montrent le chemin… Aux carrefours, il dresse un peu plus la tête… Il regarde l’horizon, flaire le vent, puis il s’engage résolument dans l’une des quatre ou six routes qui sont devant lui… C’est toujours la bonne… Il n’arrive pour ainsi dire pas qu’il se trompe…

Il y a deux ans de cela… Nous revenions de Marseille. Nous nous étions arrêtés à Lyon, un jour… Brossette