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LA 628-E8

reste, Balzac ne lui demanda pas de comprendre, de partager ses chagrins ou ses bonheurs, pas plus qu’on ne demande au vase de savoir pourquoi on le remplit de poisons ou de parfums.

Mme Surville sut ainsi beaucoup de choses, en gémit, en souffrit, et se tut.

Un seul homme pouvait, devait écrire une vie de Balzac : M. de Spoelberch de Lovenjoul[1].

Tout ce qui existe de documents, sa piété fureteuse, sa curiosité passionnée l’ont rassemblé. Il a des trésors. Il les garde. Et cette vie prodigieuse, unique, dont lui seul connaît ce qui en demeure d’attestations certaines et d’authentiques témoignages, il ne l’a pas écrite ; il ne l’écrira pas. De temps en temps, il en détache de menus fragments, il en agite de pauvres petites images, comme pour mieux aguicher notre curiosité, avec l’intention, peut-être ironique, de ne la satisfaire jamais. Allusions, réticences, commencements, inachèvements qui nous agacent et, après nous avoir surexcités au plus haut point, nous laissent encore plus ignorants, plus cruellement déçus.

Jeu dangereux. L’imagination rôde autour des grands hommes, ardente, féroce, carnassière. Elle ne se contente pas des bavardages, maigres os qu’on jette à sa faim. Elle s’acharne à vouloir déterrer le gros morceau. Et, un jour, elle le « mangera », mais à sa façon. Un jour (pour ne pas continuer des métaphores désobligeantes envers une aussi noble faculté), elle inventera — c’est son métier — elle inventera des

  1. Écrit en mars 1906.