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BORDS DU RHIN

Et Balzac riait, à grands éclats, de cette invention.

Or, quelques années après, un Américain, à bout de ressources, qui ignorait absolument cette boutade de Balzac, qui ignorait même Balzac, réalisait cette idée de Balzac. Elle fut le point de départ d’une des plus grosses fortunes, et d’un des plus grands journaux du monde.

Les bruits les plus fâcheux circulaient sur Balzac, colportés et grossis par ses ennemis. Non seulement il était Rubempré et Vautrin ; il était aussi Mercadet. Des éditeurs, des imprimeurs, des directeurs de journaux se plaignaient vivement de sa mauvaise foi, de son habileté scabreuse. Ces pauvres gens pleuraient d’avoir été « roulés » par lui avec la plus étonnante maëstria. Ils l’accusaient d’indélicatesse, parce que, connaissant comme un avoué toutes les roueries de la procédure, il se défendait, souvent victorieusement, contre leur rapacité. Ne racontait-on pas aussi qu’il vivait de ses maîtresses ? N’affirmait-on pas qu’il avait emprunté, d’une façon frisant l’escroquerie, une très grosse somme d’argent à Mme D…, la femme d’un imprimeur qui l’adorait ? Ne disait-on pas enfin qu’il devait, avant son mariage, près de deux cent mille francs à Mme Hanska ?…

Il y avait un peu de vrai dans toutes ces histoires malsonnantes, mais du vrai mal compris, du vrai déformé, comme toujours. Il ne s’en est pas caché. Les Lettres à l’Étrangère, qui, malgré les beaux cris d’amour, les beaux cris d’orgueil, les exaltations de la confiance en soi, les débordements d’une personnalité ivre d’elle-même, et malgré cette jactance énorme, qui le fait se gonfler jusqu’à la bouffonnerie, sont le plus