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LA 628-E8

retenir… — « Oui, vous avez raison, approuva-t-elle sur un petit ton sec… C’est mieux ainsi… Allez-vous-en !… » Et, comme je ne partais pas encore, cherchant je ne sais quoi, dans la chambre : « Allez-vous-en !… Eh bien ?… Allez-vous-en ! » répéta-t-elle d’une voix plus dure, en se tournant du côté du mur, avec une affectation qui m’étonna… Elle refusa mon baiser : « C’est bien… c’est bien… laissez-moi… je vous en prie. » Était-ce la fatigue ?… Était-ce le dégoût ?… Ou bien quoi ?… Je dis : « Alors… à bientôt ! » – « Comme vous voudrez ! », fit-elle… Je sortis… Personne dans le couloir… Aucun bruit dans la maison… Une lampe achevait de brûler sur une petite table. Sa lueur tremblante faisait mouvoir de grandes ombres sur les murs. En passant devant la chambre de Balzac, je faillis me heurter à une chaise sur laquelle la garde avait empilé des paquets de linges souillés, qui dégageaient une abominable odeur de pourriture… Je m’arrêtai pourtant… j’écoutai… Rien… Un craquement de meuble… ce fut tout !… J’eus une secousse au cœur, et comme un étranglement dans la gorge… Un instant je songeai à entrer ; je n’osai pas… Je songeai aussi à aller chercher ma boîte de couleurs, et à faire une rapide esquisse du grand homme, sur son lit de mort… Cette idée me parut impossible et folle… « Non… non… pas moi… me dis-je… Ce serait une trop sale blague. » Alors, je descendis l’escalier lentement, sur la pointe du pied… En bas, c’était la cuisine… Elle était entr’ouverte, éclairée. Des bruits de voix en venaient : la voix de la garde, la voix du vieux valet de chambre… Ils soupaient, gaîment, ma foi !… En m’approchant, j’eusse pu entendre ce qu’ils disaient. Je n’osai pas, non plus, dans la crainte qu’ils ne parlassent de moi… de nous… Les autres domestiques étaient rentrés chez eux, sans doute, et dormaient…