Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/56

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devait être un raccourci, et, qu’à le prendre, nous économiserions de la route et du temps, pour gagner Fumay.

Hélas ! ce fut Rocroy.

Mais, je ne regrette rien. Les spectacles agréables ne nous sont pas seuls utiles, et nous avons appris, depuis l’histoire romaine, que rien n’exerce l’esprit, n’élève le cœur, comme de méditer sur des ruines.

Rocroy a encore ses remparts et ses deux portes. Bien qu’ils aient été construits par Vauban, qui avait pourtant de l’imagination et le goût du pittoresque, ils n’ont rien de terrible, rien de décoratif, non plus. La ville n’est, pour ainsi dire, qu’une place, une petite place lugubre et muette, fort sale, autour de laquelle des maisons, qui n’ont même pas le prestige des architectures anciennes, se délabrent, s’excorient, s’exfolient, ainsi que de pauvres visages, atteints de dermatose. Cela est noir, galeux, effrayamment vide. Je ne me rappelle pas y avoir vu un arbre, une fontaine, un kiosque. On y chercherait vainement, même sur une boutique ou sur un café, le souvenir du grand Condé… Ah ! les Espagnols peuvent venir à Rocroy, sans la moindre humiliation. Rien n’y évoque plus la mémorable frottée qu’ils y reçurent ; aucun trophée à la mairie, aucun canon sur les remparts… Mais que viendraient faire à Rocroy les Espagnols ? Ils ont aussi des villes mortes, chez eux, de vieilles villes sarrazines, des villes de porcelaine que le soleil, chaque matin et chaque soir, anime de reflets enflammés et merveilleux.

Quand nous traversâmes cette place, nous vîmes quelques fantômes, assis sur des chaises et sur des bancs, au seuil des portes, devant les boutiques, dont la