Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/9

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démonté et repliaient leurs étalages… Rien qu’à la traverser, la ville me fut sympathique. Elle avait un air de décence, de bonne santé, de bon accueil, très rare en France.

Dans l’auberge où je descendis, je m’attablai entre deux paysans, très beaux, très forts, les cheveux drus et noirs sur une puissante tête carrée, le masque modelé en accents énergiques ; singulièrement avenants. Ils parlaient de leurs affaires, et moi, tout en mangeant de savoureuses truites, arrosées d’un excellent vin d’Arbois, je les écoutais parler. Comme ils n’avaient rien du nationalisme sectaire et méfiant, avec lequel, d’ordinaire, les paysans reçoivent ce qu’ils appellent les étrangers, ils permirent fort gentiment que je prisse part à leur conversation.

Ils se montrèrent parfaits techniciens agricoles, curieux de progrès, informés au delà des choses de leur métier. Je n’avais plus, devant moi, l’Auvergnat, âpre et rusé, bavard et superstitieux, ignorant et lyrique, que j’avais quitté le matin même, non sans plaisir, je l’avoue ; je voyais enfin des hommes, calmes, réfléchis, réalistes, précis, qui ne croient qu’à leur effort, ne comptent que sur lui, savent ce qu’ils veulent, ont le sentiment très net de leur force économique, exigent qu’on respecte en eux la dignité sociale et humaine du travail. Aucune trace de superstition, en leurs discours, et, ce qui me frappa beaucoup, pas le moindre misonéisme. Ils n’eurent pas une parole de haine contre l’automobilisme. Au contraire.