Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/92

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qui insista, en pleurant, pour me garder à dîner.

Je pensais dîner en tête-à-tête avec lui. Ma surprise fut grande de trouver dans le salon, où l’on avait débarrassé, à la hâte, la chapelle ardente, une société nombreuse. Une odeur de fleurs fanées, d’encens, une autre, équivoque, persistaient, qui étaient affreusement pénibles. On me présenta à des tantes, à des cousines de Louvain, à des nièces de Liège, à des amis d’Anvers, à une famille de Verviers, et à nombre de Bruxellois. Les hommes en habit, cravatés de blanc ; les femmes en robe de soie. D’une, corpulente et fardée, le corsage était ouvert. Tout ce monde avait une expression singulière, gênée : une expression d’attente. Dans ces occasions-là, on ne sait jamais quelle contenance garder. La mesure juste y est fort délicate. Après tout, un dîner, même un dîner d’enterrement, ce n’est pas un enterrement… Ce n’est pas, non plus, un dîner ordinaire…

Repas copieux, succulent, arrosé de ces bourgognes et de ces bordeaux comme il n’en fermente que chez nous, mais comme on n’en élève qu’en Belgique. Il commença tristement. Un oncle colossal évoqua, d’une voix funèbre, l’enfance de la défunte. Insensiblement, de souvenirs en souvenirs, on en vint aux historiettes attendries qui firent doucement pleurer, puis aux anecdotes gaies qui firent rire un peu, puis aux grasses plaisanteries qui firent pouffer de rire.

— Elle était si brave !… répétait, tantôt sur le mode douloureux, tantôt sur le mode joyeux, mon ami Hoockenbeck, qui, d’ailleurs, parlait peu et buvait beaucoup.

À une plaisanterie plus salée, Hoockenbeck, voulant s’empêcher de rire, avala de travers une grosse bouchée de homard, et, de peur qu’il n’étouffât, chacun se mit