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SA CORRESPONDANCE

moi peu sûre, la France hostile. Peut-être de notre Empereur lui-même je ne recevrai que son indignation pour prix de mon courage lorsque j’aurai droit d’espérer sa reconnaissance comme prix de mes bons offices. Voilà le salaire que me paient vos maîtres pour avoir mis ma meilleure littérature à leur service, pour avoir longuement et péniblement travaillé pour eux. Oui, je suis né sous un astre bien dur, puisque je ne retire qu’ingratitude des Princes que je suis appelé à servir.

N’allez pas croire pourtant que je dise cela pour refuser l’office dont, dans votre extrême confiance en moi, vous voulez bien me charger. N’allez pas penser que je cherche de faux prétextes ! Je ne veux pas, soyez-en sûr, refuser la faveur d’une si grande Reine, paraître en faire fi ! Je ne suis pas si craintif, si pusillanime que je redoute de soutenir opiniâtrement ce que j’ai avancé dans mon livre des Sciences. Je ne suis pas non plus si dépourvu de savoir que je ne puisse réfuter un ouvrage dont la force consiste plutôt dans l’opinion versatile de Sophistes que dans de sérieuses qualités de composition, dont l’ombre d’autorité ne repose que sur l’approbation des juges les plus iniques. Mais il importe que j’attende le moment, l’occasion favorable, que les circonstances m’autorisent à écrire en toute franchise, en toute liberté. Tant que je n’aurai que des forces illusoires, une puissance fragile pour appui, je ne dois pas entreprendre cette guerre. J’ai besoin de l’autorisation de l’Empereur et de sa sœur Marie[1]. Je dois devenir en quelque sorte leur mandataire. Or, je n’ai en ce moment personne qui puisse me servir, me recommander auprès d’eux, et mon traité de la Vanité des Sciences les a irrités contre moi bien à tort, à coup sûr. Si vous pouvez obtenir ce que je demande, j’entreprendrai et je mènerai à bonne fin ce dont vous voulez bien me charger. J’y déploierai une audacieuse franchise en même temps qu’une large abondance. J’établirai la vérité par des arguments irréfutables, des raisonnements invincibles, avec non moins de bonheur que d’audace, j’en ai l’espoir. Si vous devez agir dans le sens que je vous indique, faites-le au plus tôt et dites-moi aussitôt ce que je dois faire moi-même. César[2] doit en effet, sous peu de jours, partir d’ici. Il ne me reste, je vous le dis, aucun moyen d’augmenter mon bien-être qu’en disant adieu à la Vertu, à la Vérité, tellement il est juste cet antique adage : Que celui qui veut être vertueux s’éloigne de la Cour.

Je vous envoie l’Oraison funèbre que j’ai composée et prononcée a l’occasion de la mort de la Princesse Marguerite[3]. J’y ai déjà corrigé quelques erreurs typographiques. N’hésitez pas à m’envoyer les autres ouvrages écrits en faveur de la Reine ; en cela, vous me ferez grand plaisir. Le livre de Roffensis m’a en effet beaucoup charmé. Plaise à Dieu qu’il eût été permis à cet homme de tout dire librement, de ne rien taire par crainte. Adieu, et rappelez-moi au souvenir de tous les amis.

Écrit à la Cour Impériale, marâtre des belles-lettres et des vertus, cour maintenant à Bruxelles.

  1. Marie, reine de Hongrie, gouvernante des Pays-Bas après la mort de Marguerite d’Autriche.
  2. Charles-Quint.
  3. Marguerite d’Autriche, gouvernante des Pays-Bas, morte en 1530.