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HENRI CORNÉLIS AGRIPPA

votre trop grande franchise dans votre excellent et consciencieux ouvrage De la Vanité des Sciences.

Je ne veux pas vous dire aujourd’hui autre chose que ceci : j’ai une confiance pleine et entière dans l’indulgence, dans la bonté de cet excellent monarque. Il faut dire toutefois que, dans ces derniers temps, quelques rats industrieux, rusés, troupeau méprisable, né seulement pour ronger le mérite des autres, ont acquis quelque créance auprès de lui. Ne savez-vous pas que les esprits les plus pacifiques sont les plus enclins à la crédulité ? Néanmoins n’allez pas croire que cela puisse durer éternellement, même longtemps. Bientôt ce petit nuage va se dissiper, croyez-moi. Si des exemples peuvent soulager votre douleur, je remonterai à l’origine même de l’histoire Grecque, de l’histoire Romaine. Est-ce que les citoyens les plus illustres, qui avaient rendu les plus beaux services à la Patrie, n’ont pas été frappés d’ostracisme et chassés de la cité ? Les uns reçurent l’ordre de se rendre à Gadès[1], les autres en quelqu’autre endroit. Je me tais sur d’autres peines plus terribles. Pour vous, ce n’est point le cas. Soyez donc homme d’énergie ; ne vous laissez pas abattre. Demain, dit-on, vaudra mieux que la veille. Un de nos poètes modernes a dit très heureusement : « Personne ne désespère, même naufragé sur la mer immense ; souvent les nuages se dissipent et le jour redevient serein. »

Mais il existe un secours dont on ne peut pas douter, qui sera pour vous l’ancre de salut. Vous l’aurez dans la personne de cet illustre et noble héros de Flandre, Louis de Prat. C’est un homme qui, outre les innombrables qualités dont il est doué, possède tant de véhémence, tant de puissance d’élocution, qu’il peut persuader et prouver ce qu’il veut même au juge le plus prévenu. Vous le prendriez pour un Périclès ou même un Hercule Ogmius. Il jouit auprès de César d’une telle faveur et d’un crédit si grand que, fussiez-vous même très coupable, il vous ferait rendre les bonnes grâces de l’empereur. Il peut, à plus forte raison, vous protéger, vous qui êtes innocent, contre la haine de ces hommes perdus. En un mot, il nous est dévoué à l’un et à l’autre autant qu’il est possible de l’être. Il ne fera du reste rien qui puisse porter atteinte à notre dignité pas plus qu’à nos intérêts. Appuyé sur ce Jupiter propice et tutélaire vous pouvez même oser envoyer se faire pendre ces petits dieux secondaires, je veux parler de cette meute déchaînée. Quant à moi, soit absent, soit par l’entremise de nos amis, ou dès que je serai rappelé à la cour, je ferai le plus promptement possible tout ce que je pourrai pour vous. Je réussirai, j’en suis sûr, à sauvegarder votre honneur. Patientez seulement et prenez courage « Ne cédez pas au malheur, marchez au contraire en avant avec plus d’audace ! »

Dieu mettra aussi fin à tout ceci. Ne voyez-vous pas, dans l’occasion que je vous offre, une manière facile, opportune de rentrer en grâce avec César ? Ce n’est pas sans l’assentiment divin que tout cela arrive : « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. » Oui, maintenant encore, Dieu jette sur nous un regard favorable. Adieu.

  1. Ville de l’ancienne Hispanie, aujourd’hui Cadix.