Page:Orsier - Henri Cornelius Agrippa.djvu/15

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
14
HENRI CORNÉLIS AGRIPPA

ses adversaires. Il partait atteint d’un soupçon d’hérésie dont il ne se débarrassera jamais, en dépit de toutes les protestations. Semblable soupçon était d’une extrême gravité au moment où Luther et ses disciples commençaient à semer en Allemagne comme en France le germe du schisme qui allait avoir un si retentissant éclat.

III

Prétendant qu’une affaire secrète l’y appelait, Agrippa se dirigea en 1510 vers l’Angleterre, où il écrivit ses Commentaires sur les Épîtres de saint Paul[1]. Tous ceux qui ont écrit sur Agrippa ont négligé de donner à ce sujet quelques éclaircissements. Bayle lui-même, qui est à la fois le plus ardent défenseur d’Agrippa et son biographe le plus exact, se contente d’indiquer qu’il descendit à Londres « chez le célèbre Jean Colet », un confrère de ce Catilinet qui venait de l’attaquer si violemment à Gand devant Marguerite d’Autriche. Agrippa lui-même est extrêmement sobre de renseignements sur cette mission ; plus d’une fois reviennent chez ce bohême original ces réticences calculées qui, si elles jettent quelque obscurité sur son existence romantique, viennent en revanche révéler certains côtés de son caractère hâbleur. Le médecin, le légiste, le diplomate, l’orateur, le savant, l’alchimiste et le philosophe qu’il était ne parvinrent jamais à se débarrasser du pourpoint et des rodomontades du capitaine qu’il avait été. Peu d’années plus tard, il aura un imitateur en France qui s’appelle, non sans gloire, Cyrano de Bergerac.

Toujours est-il que son séjour auprès de Jean Colet en Angleterre ne fut pas de longue durée, puisque, la même année 1510, il reparaît à Cologne, où il professa la théologie[2]. Dans un voyage qu’il fait à Wurtzbourg, il noue des relations amicales avec l’abbé Tritheim, qui étudiait les sciences occultes. Quelle puissante attraction ces redoutables et mystérieux problèmes exerçaient déjà sur son

  1. Commentariola in epist. Pauli ad Romanos. Ce travail, commencé en 1510 à Londres et poussé jusqu’au chap. VI, est resté inachevé. Perdu en Italie au moment de Marignan, il fut retrouvé en 1523 par Agrippa dans les mains d’un de ses anciens élèves, mais n’est pas parvenu jusqu’à nous. Épist., III, 40, 41, 42.
  2. Agrippa n’était point docteur en théologie, comme il le dit lui-même dans Opera omnia, tome II, p. 595 : « Ego certe theologi nomen mihi arrogare non ausim. » Conf. idem, p. 628, et Epist., II, 19. Vers la fin de 1510, il donne à Cologne des thèses, ou Placita theologica quæ quodlibeta dicuntur, à l’Université.