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HENRI CORNÉLIS AGRIPPA

acharnée à notre mort. La mort, elle était partout autour de nous, et nous ne pouvions y échapper : Il ne nous restait plus que cette espérance, la seule qui reste aux malheureux, de ne plus espérer nous sauver. Nous ne redoutions aucunement un assaut rendu impossible par les défenses naturelles du lieu et celles que nous devions à nos propres efforts mais la faim allait venir, la faim qui allait nous forcer à tendre la gorge au couteau de nos ennemis.

Dans ce honteux et déplorable état de choses, se trouva pourtant quelques hommes du peuple, plus réfléchis ou déjà éprouvés dans les émeutes, qui désapprouvaient cette révolte contre un roi auquel ils ne demandaient pas mieux que d’obéir. Profitant de leurs bonnes dispositions, l’Abbé, que ce peuple vénérait, réunit un certain nombre de ces mutins à Arcona : il leur représente que c’est là une révolte ouverte contre l’autorité royale et qu’il faut bien y regarder avant de prendre un si grave parti. Il leur conseille de rendre la liberté à Janot et de nous laisser tranquilles ; mais ses efforts demeurent stériles. L’agitation des paysans est au comble ils s’excitent les uns les autres ils n’en veulent pas, disent-ils, au roi, mais à cet odieux tyran, à Janot, dont le despotisme est intolérable, la cruauté sans bornes. On leur a pris la Citadelle-Noire par trahison, et ils se répandent en accusations contre Janot, contre moi surtout, dont les infernales inventions ont amené la chute de leur place forte et de leur liberté. Nous sommes les âmes damnées de Janot ; c’est nous qui le poussons au mal ; c’est nous qui lui avons inspiré d’abuser de sa victoire. Ce n’est pas assez, ce n’est pas trop de tout notre sang pour expier de semblables forfaits. Maintenant qu’ils en ont appelé aux armes pour reconquérir la liberté, ce n’est pas sur quelques paroles mielleuses et trompeuses qu’il les déposeront. Ils ne méconnaissent pas l’autorité royale, mais ils veulent poser des conditions. Ils ne veulent plus de servitude, et ils sont déterminés à tout plutôt que de la souffrir davantage. Quant à notre liberté à nous et à celle de Janot, ils sont tous du même avis, que nous sommes en leur pouvoir, que personne ne nous en arrachera, et qu’ils savoureront leur vengeance jusqu’au bout. Nous voir libres, c’était pour eux comme une nouvelle menace, et ils avaient plus peur de nous vivants que d’insulter le roi lui-même. Et leur colère tournait à la frénésie. Ils s’enivraient de ces protestations. Le roi, disaient-ils, peut nous promettre tout ce qu’il voudra, mais il faut que ceux-ci meurent. Ceux qui avaient perdu quelques-uns des leurs à la prise de la Citadelle-Noire, jetaient encore des ferments de haine dans la foule ameutée.

L’abbé, reconnaissant son impuissance, renvoya les révoltés après les avoir gardés très longtemps dans la nuit. Les jours s’écoulaient et nous en étions déjà à redouter plus les horreurs de la famine que les péripéties d’un assaut. Cependant le prudent et rusé Pérotte employait son temps à méditer une habile évasion. Il examinait scrupuleusement tous les lieux aux alentours, fouillant tous les angles des rochers, sondant toutes les anfractuosités, explorant tout de son regard obstiné et perçant. Un jour, qu’il avait escaladé la montagne, il constata que la vue donnait sur un lac qu’il reconnut pour être le Lac Noir et qui baignait le côté opposé à nous de cette montagne et s’étendait à quatre mille pas environ jusqu’à l’abbaye où il s’ar-