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HENRI CORNÉLIS AGRIPPA

rendre auprès de vous. Je l’eusse fait si les prières de Monseigneur[1], prières qui sont pour moi des ordres, et les instances du chambellan de sa maison ne m’eussent décidé à rester. Aujourd’hui encore, les circonstances ont été telles qu’il m’a été impossible d’obtenir l’autorisation de partir. Ils m’ont promis cependant de ne point s’opposer pour demain à mes désirs. J’arriverai donc à Chambéry, où il nous sera permis de vous communiquer de vive voix ce qu’il nous reste à dire. Mon départ d’ici me sera d’autant plus agréable que j’y manque de votre charmante société.

Portez-vous bien, ainsi que votre chère femme[2].

Du camp de Rochelle, près la rivière de l’Isère, le trois avant les nones de mai 1517.


VIII

Un ami à Agrippa.

Entre les années 1517 à 1519, de Genève.

Il y a quatre jours j’ai reçu de vous deux lettres à la fois, excellent Cornélis, et, bien que le sujet en soit différent, elles sont remarquables également toutes deux par leur élégance et l’éclat du style. Comme elles me parlaient de l’impiété de ce personnage et de son opiniâtre ingratitude, je n’ai pu, par Hercule, ne pas être violemment affligé, m’indigner contre ces coups cruels de la Fortune qui n’hésite pas à sévir durement contre un homme d’une si grande vertu. Un homme magnanime comme vous ne doit pas céder, cher Henri. Il ne faut point baisser pavillon devant cette maîtresse infidèle sans contredit, les traits dont elle vous accable répandront sur votre rare mérite un éclat aussi merveilleux que durable. C’est un sort qui nous est commun à tous, par Pollux l’un est en butte aux outrages, aux affronts, l’autre est exposé à la mort, celui-là à se prémunir contre l’affreux aiguillon de l’ingratitude. Il arrive même trop souvent, hélas ! que les justes, les innocents, sont plus sujets que les autres aux injures variées de la foule des hommes impies. Ne devons-nous pas supporter tout cela avec résignation ? Devons-nous céder un pouce devant les injustices, l’ingratitude, devant les menaces et les hostilités de la Fortune ? Est-ce à vous surtout de le. faire, à vous, homme fort et modeste entre tous qui n’êtes déjà que trop familiarisé avec les vicissitudes de la destinée. Oui, je m’en doute, vous avez dû déjà en souffrir de plus cruelles ; vous avez dû supporter les assauts violents et aveugles d’une Fortune plus cruelle encore et plus inique. Votre âme a dû s’y endurcir, s’entourer d’une cuirasse qui ne saurait céder à ses coups. Vous devez donc mépriser l’adversité. Vous devez donc en accepter plus patiemment les attein-

  1. Le Duc de Savoie.
  2. Il s’agit de la première femme d’Agrippa, qui était lombarde, et mourut fort jeune à Metz en 1521.