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HENRI CORNÉLIS AGRIPPA

offensé votre Reine[1], dont le caractère est d’ailleurs doux et traitable, que, saisie d’une indignation subite, en proie à une sorte de terreur, elle n’a pas pris le temps de réfléchir. Elle m’a rayé du nombre des gens qu’elle pensionne, moi qui ai été fidèle à sa fortune jusqu’au péril de la mienne. Elle me repousse au moment même où j’attendais la récompense de mes services. Ce n’est pas tout : sa colère est si opiniâtre qu’elle ferme l’oreille aux bonnes paroles de mes amis, à celles de toutes les personnes qui veulent intercéder en ma faveur. Par contre, elle l’ouvre toute grande aux insinuations perfides des envieux qui ont déjà perverti sa bonne nature au point qu’elle obéit plus volontiers à des suggestions étrangères qu’à sa bonté naturelle, depuis longtemps éprouvée, et qu’elle refuse de croire à mon innocence. Ai-je donc commis un si grand crime en lui persuadant qu’il fallait mettre de côté toutes ces dangereuses croyances en l’astrologie, toutes ces puérilités, pour se confier à la Providence divine ? Pourquoi s’irriter contre moi si je n’ai pas voulu que mon âme et mon jugement, imbus de tous les sains principes de la saine philosophie, se laissassent corrompre au point d’afficher un pouvoir charlatanesque ? Et, lorsque je pouvais lui être utile, grâce à des études et à des connaissances plus sérieuses, si elle l’eût voulu, pourquoi a-t-elle préféré faire l’épreuve de l’art de l’astrologie, si toutefois c’est un art, et non pas une vaine puérilité ? Eh bien, soit, je l’admets : J’ai attribué à un avis honnête plus de puissance qu’il ne devait en avoir mais je dirai, comme excuse, que j’ai parlé avec une franchise louable ; que, si j’ai été trop hardi dans les conseils que je donnais, elle n’aurait pu ni dû m’accuser que d’un excès de zèle. En conséquence, elle n’aurait pu ni dû conserver contre moi une colère aussi persistante, colère indignée qui, se changeant en rage, lui a inspiré le désir de se venger. Quel est donc maintenant celui qui osera donner un conseil à un prince quelconque ? Quel est même celui qui, ayant été consulté, voudra faire avec un prince une simple conversation, si le simple fait de conseiller expose à tant de périls, si on doit regarder comme crime le fait d’avoir fait adopter ce conseil ? Et si, par hasard, ce conseil est stupide, inutile, inefficace, il faudra donc s’attendre aux châtiments, aux supplices pour expier sa faute ! Ce serait là vraiment une forme nouvelle et inconnue de tyrannie.

J’ai donc réfléchi. Il faut qu’il y ait autre chose, quelque autre motif qui enflamme son courroux. Vainement j’essayais d’approfondir tout cela, je ne trouvais rien. Fatigué de ces réflexions, et dans le but de me délasser un moment, j’ai pris la Sainte Bible, comme c’est mon habitude en pareille circonstance. En l’ouvrant, je tombe aussitôt sur l’histoire de Jézabel, et justement sur le mot que le Prophète Michée attribue à Achab : « Je le hais parce qu’il ne me prophétise rien de bon. » Émerveillé du hasard d’une prophétie si inattendue, je me rappelle que j’ai écrit au Sénéchal : « J’ai trouvé, en compulsant les Prédictions relatives à la naissance de Bourbon, que cette année même vos armées seraient déçues dans leurs espérances et que Bourbon serait vainqueur. » Je n’ai pu m’empêcher de rire, mais d’un rire sardonique, et je me suis dit à moi-

  1. Louise de Savoie.