Page:Orsier - Henri Cornelius Agrippa.djvu/93

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
92
HENRI CORNÉLIS AGRIPPA

vous diront, ces grands personnages, que, lorsque j’ai quitté Fribourg en Suisse, ils se sont efforcés de me gagner à sa cause, et qu’ils ont employé dans ce but les prières les plus instantes, les plus séduisantes promesses. Ce que je leur ai répondu, ce que j’ai fait, pourront le certifier et quelques capitaines de ce même Duc, et ces nobles commandants d’Illens ; mes compatriotes. Ils voulaient prendre le parti de Bourbon, je les lui ai soutirés avec quatre mille fantassins bien équipés : je les ai poussés du côté du Roi. En cela j’ai exposé toute ma fortune et j’ai contracté des dettes onéreuses. Maintenant, pour salaire de tous ces services, après que les nôtres ont été taillés en pièces, un de mes compatriotes ayant disparu, l’autre ayant été grièvement blessé, on ne se souvient plus des traités, des promesses, bien que la loi militaire et des clauses rendues publiques eussent dû sauvegarder nos droits.

Si nous avions suivi le parti de Bourbon, nous serions riches de vos dépouilles et, de plus, enchantés de la victoire. Je n’aurais pas été obligé de devenir de soldat fortuné que j’eusse été, le médecin besoigneux de votre Souveraine. Si j’ai agi avec une telle imprudence, c’est que j’espérais que, grâce à la bienveillance qu’elle m’avait promise, je pourrais me faire une place dans la faveur du Roi. Mais le Roi, jusqu’ici, a oublié un absent. Votre Souveraine, pour le parti de laquelle j’ai tout abandonné, parce que je l’ai avertie avec un peu trop de franchise des malheurs qui menaçaient, n’a pu supporter qu’on lui dise la vérité, maîtriser sa colère. Elle me méprise d’ores et déjà, me renie, me repousse, me chasse. L’infernale méchanceté des détracteurs triomphe des services rendus et moi qui, abandonnant Bourbon, me suis moi-même démuni de tous mes biens pour venir en aide au Roi, lui être utile de toutes mes forces, je suis un Bourbonniste ! Mais ne sont-ils pas des Bourbonnistes renforcés, ces lièvres timides, ces fugitifs, ces déserteurs, qui ont laissé Bourbon faire leur Roi prisonnier qui, à la seule vue de l’ennemi, alors qu’ils étaient sans blessure, avaient encore leurs armes, tout ce qui leur était nécessaire, se sont sauvés dans leur patrie ? Et c’en était fait du royaume de France si Dieu n’eût eu pitié de vous. Eh bien, allez maintenant vous prosterner devant ces interprètes des cieux, ils vous diront ce qui doit vous arriver. N’est-ce pas le Dieu des armées qui a eu pitié de vous ? N’a-t-il pas permis que, le Roi devenu prisonnier, votre malheureux pays fût sauvé par la main d’une femme ? De même qu’en Israël au temps de Débora, les hommes faisant défaut, une femme a pris les rênes du pouvoir et l’a dirigé avec tant de prudence et de fermeté à la fois que Sémiramis et Athalie ne firent pas mieux autrefois. Or, ceci est à la louange singulière de votre Souveraine, suivant l’expression de l’Écriture, et c’est en même temps une honte insigne pour tous les grands personnages de France, en même temps qu’un malheur pour le peuple et pour le Royaume, qu’il ne ce soit pas trouvé un Prince digne de prendre le Pouvoir. C’est encore une gloire pour votre Souveraine de n’avoir pas eu besoin de conseils quand les hommes sages manquaient, que les hommes courageux fuyaient le théâtre de la guerre pour se cacher sous un vêtement féminin. Que l’on ne vienne pas me citer comme donneur d’excellents conseils cet orateur ventru et criard ! Ses conseils, ses avis, ils sont, comme ceux de la Sibylle,