Page:Otlet - Problèmes internationaux et la guerre.djvu/163

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4. Continuité du progrès. — Les progrès de la société humaine ont été considérés par les uns comme ininterrompus (Pascal, Condorcet), par les autres comme sujets à des retours périodiques ou « ricorsi » (Vico) ; par d’autres encore comme offrant un caractère partiel et contradictoire. À embrasser d’un coup d’œil général toute l’histoire de l’humanité et à constater ses résultats généraux, il ne paraît pas possible de déclarer qu’il n’y a aucune progression dans le Progrès. Le progrès existe. Il en est de manifestes, d’incontestables ; ce qui n’existe pas, c’est sa nécessité, sa constance ou son universalité. Le progrès a été fréquemment interrompu par de longues régressions, par des périodes d’ignorance et de servitude. Après les mœurs douces de la Chaldée primitive, l’autocratie brutale des Akkadiens et d’Assour ; après Rome les Barbares ; après Constantinople les Arabes. Sur bien des points aujourd’hui même le progrès semble arrêté (exemple : le progrès du génie esthétique), et c’est avec angoisse que nous pensons au recul après la guerre. La croyance au progrès nécessaire peut conduire au fatalisme, comme la croyance à l’immobilité et à l’éternel recommencement. Le progrès humain est le résultat de la volonté.

5. Accélération du progrès. — La loi sociologique d’accélération agit dans le monde social comme, dans le monde physique, la loi de la chute des corps. Ceci est explicable par la loi naturelle de la modificabilité vitale. Celle-ci, en effet, est d’autant plus grande que l’organisme est plus complexe. La modification des sociétés, organismes plus complexes que l’organisme humain, est susceptible d’acquérir une intensité supérieure. Le changement perpétuel est la caractéristique évidente de la vie moderne. Tout est accepté comme provisoire, passager, transitoire. Même les théories scientifiques ne sont plus conçues que comme relatives, voire toute vérité comme relative. L’évolution sociale en est arrivée aujourd’hui à la phase de transformation consciente ; au progrès spontané s’ajoute aussi le progrès volontaire[1]. Aussi la secousse que la guerre apporte au monde a pour résultat de tout remettre en question : elle crée un extraordinaire état de réceptivité parmi les populations. Elles se rendent compte de la possibilité de modifications importantes dans l’organisation des sociétés et elles sont prêtes à les accepter.

235.3. LA CIVILISATION. — Tous les facteurs sociaux que nous avons considérés jusqu’ici isolément et sous différents aspects viennent se combiner en un ensemble dénommé la Civilisation.

1. Notion. — Il faut distinguer la civilisation et les civilisations. Les civilisations, c’est tout complexe qui comprend les idées professées et les habitudes contractées par l’homme vivant en société

  1. Lester Ward.