Page:Otlet - Problèmes internationaux et la guerre.djvu/170

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ont été organisateurs dans leurs cités. Les Romains aussi. L’église catholique, alors que les tribus germaniques n’étaient encore que désordre et chaos, sut s’organiser de telle sorte que son pouvoir est encore une des plus grandes forces avec lesquelles le monde ait à compter. Parmi les souverains de France ou leurs ministres, il y eut de très grands organisateurs (les ministres de Louis XIV, Napoléon). Ce qui est indéniable, c’est que depuis une ou deux générations, les Allemands font preuve de grandes qualités d’organisation ; c’est qu’ils ont su mettre à profit, plus que d’autres peuples, les immenses progrès réalisés par la science. « L’idée de l’organisation, c’est-à-dire de la valeur de l’ensemble et de ses éléments devenus plus libres par leur association, agite la conscience intime de millions d’Allemands », écrit Schulze Gaeverniz. Sous le nom de technique ils ont cherché à doubler chaque science d’une science appliquée, tandis qu’ils coordonnaient toutes les connaissances relatives à chaque objet usuel, à chaque opération, et en constituaient sa technique. Et tout ce savoir, ils l’ont appliqué en majeure partie à produire, à transformer leur vie économique, à s’enrichir, à matérialiser leur existence. Ce qui est vrai encore c’est que les Allemands ont montré un sens du grand qui parait fréquemment aux autres peuples disproportionné. « Faire Kolossal, — disent les Allemands, n’est qu’une question de mathématique et de volonté. » Enfin ce qui mérite de retenir l’attention c’est leur administration publique, les cadres de leurs fonctionnaires, en lesquels l’État a trouvé les instruments dociles, laborieux et progressifs de toutes ses volontés. Il est vrai qu’à côté de l’organisation ils ont instauré une « manière » qui est rapidement devenue « fameuse ». L’administration prussienne, depuis la formation de la monarchie jusqu’à la fondation de l’Empire allemand en 1871 a su maintenir dans l’obéissance passive les sujets les plus disparates et les provinces les plus disséminées : Prussiens, Saxons socialistes, Polonais catholiques, Danois aigris, Bavarois jouisseurs, Wallons des provinces rhénanes, Hanséatiques accoutumés à l’autonomie. L’organisation petit à petit perdait sa signification fondamentale. Devant elle disparaissaient les « organisés », et la machine avait de plus en plus tendance à fonctionner pour elle-même. La société dans cette conception finit par être l’État et celui-ci, par une métaphysique subtile, est investi du caractère absolu, équivalant à une sorte de divinisation[1]. Conclusion : l’organisation n’est pas le monopole des Allemands, elle n’est même pas un produit allemand, c’est une conception qui appartient à l’humanité entière, comme la science, comme la technique, comme le droit. Mais les Allemands ont excellé dans l’organisation. À chaque peuple mainte-

  1. Voir n° 292.3. — Van Gennep, Le génie de l’organisation. — La formule française et anglaise opposée à la formule allemande (1905). (Principes inconciliables d’organisation politique et sociale).