Page:Otlet - Problèmes internationaux et la guerre.djvu/402

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du hasard et de l’histoire, et bien des remaniements seraient désirables, mais ces modifications n’éviteraient en rien la difficulté essentielle, l’impossibilité radicale de faire coïncider exactement les trois espèces de frontières : frontières politiques des États, frontières ethniques des nationalités, frontières économiques des intérêts matériels, on pourrait même ajouter les frontières des intérêts intellectuels. Une circonférence, un triangle, un carré, un losange, images de ces frontières différentes, ne sauraient être ramenés à l’unité de figure, alors qu’aucune des quatre ne circonscrit entièrement les autres, et qu’aucune n’est entièrement inscrite en elles. Dès lors la solution doit être cherchée ailleurs, dans une conception de l’État qui laisse leur autonomie et aux nationalités et aux intérêts matériels ; qui admettrait que les uns et les autres se groupent à leur manière. Tant mieux pour les États actuels s’ils sont formés d’une nationalité unique et s’ils ont pu ériger à peu près leur territoire en une circonscription économique autonome (en dehors de la France et de la vieille Chine, quels autres États pourraient être de ce nombre ?) ; mais non pas, tant pis pour les autres États, nous voulons dire pour leurs habitants, dont le bonheur seul importe en dernière analyse. Dans ce système nouveau les États seraient conçus comme entités groupant tous les territoires soumis à une même police, les Nationalités comme entités groupant tous les hommes ayant une communauté d’origine et de langue, les Unions économiques comme entités groupant tous les intérêts matériels similaires. Et ces trois ordres d’entités trouveraient leur place et leur équilibre dans une superstructure qui les embrasseraient toutes. On ferait une part à la représentation de tous, qui ne serait autre que la « Société des nations ». Celle-ci, la communauté humaine tout entière, doit être dotée, comme les États, de la triple personnalité morale, juridique et politique. Sa souveraineté doit coexister avec celle des États, de la même manière que dans les fédérations coexistent plusieurs souverainetés qui se limitent les unes les autres, s’associent ou se hiérarchisent, mais ne s’absorbent pas. Qu’on y fasse attention : il ne s’agit pas seulement de créer une association d’États. Le problème est autre ; il est plus vaste. Un État lui-même n’est pas seulement une association de communes : les communes en constituent une partie, mais les grandes fonctions sociales, organisées sur une base autre que la division du territoire, en sont une autre ; les citoyens ont des relations directes avec l’entité qui est l’État, sans devoir passer nécessairement par l’intermédiaire des entités qui sont les communes. De même la Société des Nations devra reconnaître plusieurs espèces de membres : les États ; les hommes en tant qu’êtres humains ; les grandes unions internationales par classes d’intérêts ; peut-être même certaines villes déclarées libres, ne relevant que de l’autorité internationale. C’est donc une société très complexe, très variée, dont il faut tracer les ca-