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ÉLÉMENTS SCIENTIFIQUES

11. Examen des ouvrages particuliers quant aux principes d’exposé. — Un grand travail reste à faire : l’examen scientifique et pratique des ouvrages particuliers au point de vue de leur forme et des principes d’exposé mis en œuvre,

Ce travail doit porter sur les grandes œuvres du passé et sur les œuvres qui paraissent ou jour le jour ; c’est donc un travail continu : c’est la véritable observation bibliologique, tandis que d’autres, par l’expérimentation bibliologique, consisteront dans l’élaboration des ouvrages en pleine conscience et connaissance des principes de l’exposition.

Des ouvrages célèbres présentent d’intéressantes caractéristiques, positives ou négatives, quant aux formes d’exposé. Ceux d’entre eux qui manquent d’ordre dans l’exposé font mieux comprendre la valeur même de l’ordre, mais en même temps ils sont peut-être plus près de la vie, qui en soi n’est guère ordonnée. Voici quelques exemples :

a) Le dialogue de Platon, « Parménide », dit Victor Cousin, demeure un des ouvrages de Platon dont il est le plus difficile de déterminer le vrai but et de suivre le fil et l’enchaînement à travers les mille détours de la dialectique éléatique et platonienne. Longtemps la vraie pensée de Platon est restée un problème. Est-ce un grand exercice de dialectique, où le sanctuaire mystérieux où se cache, derrière le voile de subtilité presque impénétrable, la théorie des idées ?

b) Le Coran est illisible deux fois pour un occidental. Une partie de son inintelligibilité est due à son arrangement. Dans la préparation de l’édition « canonique », on n’a fait aucun essai pour présenter chronologiquement les matières ; des révélations de différentes périodes ont été souvent mêlées les unes aux autres en une seule dans le même chapitre. Le principe général de l’œuvre a été de placer d’abord les chapitres les plus longs et ensuite les plus courts. Or, les premières révélations étant souvent contenues dans les chapitres les plus courts, on peut dire que la meilleure manière de lire le Coran est de commencer par la fin. Son inintelligibilité provient aussi de l’esprit désordonné du Prophète qui, dans la partie historique de ses révélations, mêlaient les choses. Le contraste est frappant avec la Bible où l’ordre historique est suivi. Le Coran parle d’Adam, d’Abraham, de Jésus, de Moïse et des autres sans ordre et sans qu’on puisse ressusciter l’ordre dans lequel ils apparaissent dans la suite des temps.

c) L’Imitation de Jésus Christ présente un texte peu suivi et peu cohérent : les préceptes qui en constituent la substance sont disséminés dans tout l’ouvrage, confondus avec les éléments de mysticité et les règles spéciales à la vie monastique.

d) L’œuvre de Nietzsche cet curieusement morcelée en une infinité de pensées, d’axiomes, de critiques à l’adresse de tous les philosophes. Elle constitue une série de documents précieux, d’idées nouvelles et des thèses d’une implacable logique. (Thoran Bayle.)

e) Le souci de répondre perpétuellement à des objections qui le plus souvent se répètent sous des formes diverses et ne sont pas toujours indispensables à l’exposé de la thèse, affaiblissent l’œuvre de certains philosophes. Ainsi Le Dantec et William James.

Beaucoup d’auteurs d’œuvres modestes se sont grandement préoccupés de soigner la forme d’exposé au contraire de ces exemples célèbres. On trouve chez eux, explicitement ou en germe, bien des innovations susceptibles de généralisation, bien des formes devenues susceptibles de devenir des « espèces ».[1]

    traits caractérisés avec une légende et un récit, lecture illustrée se rapportant à l’un des faits visés dans la leçon. Il est lui-même divisé par point. À la suite du récit, sous le titre « à souligner », l’indication des pointe du récit à relever et qui éclairent l’histoire des mœurs et les progrès de la civilisation. In fine une chronologie donnant cent dates, divisée par périodes et en trois caractères, romains, italiques, égyptiennes, pour faire mieux ressortir les faits caractéristiques. Ce petit volume cartonné se vendait 90 centimes.

  1. Voici quelques exemples :
    xxxxxa) En ce qui concerne les sciences pures, mathématique, chimie, physique, botanique, zoologie, etc., C. A. Laisant a entrepris chez Hachette une collection d’ouvrages rédigés pour les années de l’enfance et tendant à son initiation. Ces petits livres (Initiation mathématique, etc.) s’adressent aux parents désireux d’initier leurs enfants, tout en les amusant et en les intéressant par des observations effectives, aux rudiments des différentes sciences, dont la connaissance est devenue, dans une époque de progrès comme celle où nous vivons, d’une nécessité presque absolue.
    xxxxxb) Dans les Tables de logarithmes du service géographique de l’armée, pour éviter les chances d’erreur et de fatigue, on a adopté le perfectionnement suivant : Les caractères sont d’un type nouveau et leur disposition dans les nombres ne peut laisser place à la confusion. Le papier a été teinté pour amoindrir pour les yeux l’effet de la lumière réfléchie ; il est légèrement jauni pour toutes les tables, sauf pour certaines de teinte bleue pour les faire reconnaître de suite. (Imprimerie Nationale. 1889.)
    xxxxxc) Manuel Astruc. « Formulia » : Notions de 7 sciences appliquées à l’automobile. La chimie, la physique, la mécanique, la trigonométrie, l’algèbre, la géométrie, l’arithmétique sont mises à contribution.
    xxxxxd) Voici les « Tables nautiques » de C. Cornet (Gauthier Villars). « Les deux tables de cet ouvrage, dit l’auteur, permettent de résoudre le triangle sphérique avec sûreté et rapidité ; elles ont été étudiées pour éviter les erreurs, faciliter les entrées, éviter de feuilleter. »
    xxxxxe) E. Cottet. Leçons et exercices d’analyse à l’école primaire. Livres d’exercices avec des points à la place des mots, à remplacer par les élèves.
    xxxxxf) Dans « La femme a ses raisons… », par Charles Oulmont. L’auteur présente le journal intime de ses deux héros en texte juxtaposé sur deux colonnes. Il souligne ainsi d’amusante façon les malentendus qui se glissent dans ce ménage.
    xxxxxg) Jules Laforgue, sentant passer en lui un flux tumultueux de sensations, d’idées, d’impressions fugitives, ne savait mettre de l’ordre dans tout cela et jetait tout pêle-